Malgré un album un peu décevant (voir ici),
toujours aussi généreux et enthousiastes sur scène...
Face A (Angry Side)
Ça commence avec ce mec devant moi qui raconte qu’il est tombé sur Ghosts of Mars à la télé, sur une chaîne de la TNT. Il a trouvé ça
pourri. Le rouquin au tee-shirt Che et la petite gothique qui l’accompagnent surenchérissent. "J’hallucinais en lisant le programme télé, ils écrivaient que c’était vachement bien. N’importe
quoi !", dit-elle. "De toutes façons, les effets spéciaux, ils sont toujours nases chez Carpenter", ajoute l'apprenti guerillero aux longs cheveux gras plaqués qui, lui,
connaît au moins l’illustre cinéaste. C’est déjà ça. Sauf que cette assertion saugrenue qui vient de franchir ses lèvres prouve qu’il n’a jamais vu The Thing ou Prince des
ténèbres. Je pourrais lui rappeler tout ça. Mais j’ai juste envie de m’éloigner d’eux, de ne pas subir ces propos ineptes de spectateurs pour qui tout se vaut, qui ne trouvent rien d’autre à
reprocher au film que ses effets spéciaux ratés et ses personnages archétypaux (La belle affaire ! Il faudrait leur expliquer ce qu’est la série B).
Mais on piétine. Non, je ne peux pas m’éloigner. À côté, des ados s’inquiètent de savoir qui a acheté les alcools forts pour l’after. Et se mettent à engueuler celui qui va les accueillir chez
lui après le concert car il n’a acheté que des bières. "Nan, mais j’avais pas compris… C’est bon, y’a un rebeu en bas de chez moi". Un épicier, veut-il dire sans doute…
On est serrés. Il est 18 heures passées. On va rentrer dans le Palais Omnisports de Paris Bercy. On n’a pas eu de place en fosse. Les places assises sont non-numérotées. Et personne n’a envie
d’être expédié dans les lointains gradins qui font face à la scène…
C’est marrant, ici ce n’est pas le même genre de spectateurs que ceux que l'on croise d’habitude aux concerts parisiens. Leurs tee-shirts disent un peu qui ils sont, ce qu’ils écoutent… Guns
& Roses, Queens Of The Stone Age… Entre autres… Pas mal de métalleux… Le revival rock et sa panoplie fashion ne sont pas passés par leur garde-robe. Tout simplement parce que pour eux, sans
doute, le rock n’est pas une mode, n’est jamais mort, n’a jamais eu à renaître de ses hypothétiques cendres. Dreadlocks, pantalons treillis, bermudas, grosses baskets, crânes rasés,
piercings et tatouages ethniques sur corps musculeux. Pas le faux-pli d’un jean slim à
l’horizon.
Je suis l’un des plus vieux. La plupart ici ont 25/30 ans. Les plus jeunes, qui sont là eux aussi, n’étaient pas nés quand résonnèrent pour la première fois sur les radios – avant les
interdictions post 11/09 – les bombes fusion du quatuor Angeleno. À l’instar de Nirvana (excusé), pas besoin de nouveaux albums, nulle actualité – sinon celle de cette reformation tant espérée –
pour que le groupe renouvelle son public. Ou alors c’est qu’il faut remercier les grands frères et les grandes sœurs, je ne sais pas. Ce qui est sûr, c’est que pour un groupe prônant la
révolution et entrant en scène quelques heures plus tard au son de L’Internationale il y a beaucoup trop de tee-shirts impersonnels siglés Rage Against the Machine. On se croirait à un
concert de Muse tant la proportion de moutons est impressionnante. Oui, vraiment, on devrait, de manière générale, interdire le port des vêtements à l’effigie des groupes à l'affiche, barrer par
exemple l’entrée d’un concert de RATM à quiconque porte un de leurs tee-shirts... Tu y étais en 1992 ? T’as fait la tournée Evil Empire ? On s’en fout. Si t'es là, on s'en
doute que tu les aimes bien. On n’est pas là pour mesurer qui est le plus gros fan, qui a "headbangué" le premier et qui c’est qu’a la plus grosse. Et puis surtout évite un peu de porter le
tee-shirt de la tournée 2008, que tu viens d'acheter à l'instant, parce que, là, tu passes juste pour un opportuniste...
Oui, je suis de mauvaise humeur. Mes amis sont loin derrière, arrivés tard. Pas sûr qu’on se retrouve une fois à l’intérieur.
Une grosse heure plus tard, violence. Violence des sifflets à l’encontre de Saul Williams, préposé à la première partie, sacrifié, envoyé au feu en victime expiatoire. Moi aussi je me suis
ennuyé, ces rythmiques indus’ étaient parfois pénibles et aucune mélodie ne parvenaient à s’y accrocher. Mais tout de même Saul Williams, ce n’est pas rien, ce n’est pas le premier venu. Sans
doute agace-t-il avec sa sa coiffe indienne (évoquant George Clinton ?), sa morgue et son funk bruitiste et robotique desservi par une sonorisation plus que limite. C’est fou comme
l’obscurité et la foule semblent tout autoriser. Derrière moi, le gentil garçon venu avec maman se lâche à grand renfort de "Rentre chez toi !" et de "Ta gueule !".
Pauvre type. Si au moins tu avais trouvé des tournures un peu plus piquantes. Si jeune et déjà si intolérant. Je suis d’humeur à passer
en mode vieux con. À un moment, je me retourne, le fixe droit dans les yeux. Ça marche : je ne l’entendrai plus. Le problème, c’est
qu’ils sont quelques milliers supplémentaires à huer l’ex-slammeur qui ne sait plus trop aujourd'hui s’il est Prince, TV on the Radio ou Nine Inch Nails. Ils sont chauffés à bloc, ils sont là
depuis trop longtemps, pressés dans la fosse les uns contre les autres, attendant d’en découdre et ne se rendant pas compte que ce sont bien leurs idoles qui l'ont invité (ils lui dédieront
d'ailleurs Sleep Now in the Fire une fois sur scène). Évidemment, avec ma voisine d’un soir, on applaudit encore plus fort entre les morceaux, atterrés par la haine qui sourd d’une bonne
partie du public. À ce moment-là, je me demande vraiment si j’aime RATM pour les mêmes raisons que ces gens-là...
Face B (Happy Side)
Voir RATM donc... C’est le lot de beaucoup d’entre nous – comme pour les Stooges ou les Pixies – que de découvrir certains groupes tant chéris
au gré de reformations plus ou moins motivées par la sincérité. Pourtant, RATM sur scène, c’est "énorme", comme on dit aujourd’hui. Voir tout Bercy se lever comme un seul homme dès que les
lumières s’éteignent ; nous voir, toutes et tous, lever le poing, comme à la Fête de l’Huma – au son de L’Internationale donc – c’est plutôt pas mal pour commencer. Ça ferait
presque chaud au cœur (si l’on n’avait pas encore en tête les stridentes réminiscences de ces sifflets voulant congédier Saul Williams). En même temps, L’Internationale, c’est un peu
facile, non ? Tellement évident. Ce chant résonne comme un signe, comme un logo, tel cette étoile rouge en fond de scène, tel ce fameux portrait de Che Guevara sur l’ampli de Tom Morello.
Passons… Oui, arrête de pinailler, Ska : hier soir – toi le premier – nous avions tous envie d’y croire…
Ok. Dont acte. Même que la photo, je vais la photoshopé en rouge, histoire de bien être dans le ton.
Je ne sais pas ce qui a poussé RATM à se reformer, mais force est de constater que l’énergie est intacte, quasi-décuplée. Tout Bercy "jumpe" à
l’unisson, de la fosse aux balcons, de la scène aux gradins. Les chansons-slogans, les harangues de Zack de la Rocha s’enchaînent ne laissant que peu de répit à nos jambes (mention passable à
Renegades of Funk, ventre mou d’un set presque parfait livré par un quatuor qui jamais ne débandera).
Parfois, je quitte des yeux la scène pour observer la fosse. Durant Guerilla Radio, sur Know Your Ennemy, il n’y a pas un mètre carré qui ne se soit transformé en un terrain
mouvant, instable, bondissant, exultant… Pour une fois, je ne suis pas mécontent d’être au-dessus de la mêlée. Sur scène, en tout cas, les années qui sont passées depuis le split ne se voient
pas : Tom Morello part en vrille, se débranche involontairement à deux reprises, monte sur les retours, virevolte sur lui-même, tout aussi électrique que cet instrument qu’il malmène avec
délectation, dont il sort les sonorités les plus improbables, scratchant ses six cordes comme personne, jouant sans relâche avec ses micros, ses pédales d’effets. Lui que l’on avait quitté avec
un beau disque solo, acoustique et engagé (The Nightwatchman), payant son dû au
folk et à Springsteen, on le retrouve dans son rôle de dynamiteur officiel et ça fait plus que plaisir.
Quand Tom Morello et Tim Commerford, yeux dans les yeux, guitare et basse à l’unisson, entament l’intro de Bombtrack, je pense à notre répétition de la veille aux studios Basement, à Mr
J perdu dans un recoin de la salle et que je ne retrouverai qu’à la sortie… Quand résonnent les derniers accords de Killing in the Name et que s’étouffe dans un ultime cri rageur la
colère de Zack, je me souviens que la dernière fois que j’ai entendu ce morceau, c’était au Bataclan il y a quelques semaines,
lors d’une "Sabotage Rock Party" mémorable, et que je m’étais pris pendant le pogo une mandale pas méchante et évidemment involontaire. Hier
soir, la baffe fut virtuelle mais autrement cinglante.
Au bout d’une heure vingt seulement, les quatre torpilleurs soniques quittent la scène pour la deuxième et dernière fois. Un regret tout de même : qu’aucune reprise n’ait été jouée ce soir.
Pas de Kick Out the Jams, pas de Ghost of Tom Joad, pas de Maggie’s Farm ni de Street Fighting Man, fleurons d’un ultime album (de reprises) paru juste après
cette séparation qui n'est plus qu'un mauvais souvenir. Certains de ces morceaux, on n’aura jamais eu la chance de les entendre sur scène. À moins qu’à Saint-Cloud, le 20 août…
Le lieu portait le nom d’un mauvais album de Madonna. L’Erotika était logiquement situé à Pigalle, pas loin de l’Elysée Montmartre, de la
Cigale, entre phosphorescents sex shops et minables échoppes. Déjà touristique, le quartier, sous les néons fluos. Mais bien moins qu’aujourd’hui, aseptisé, safe, nettoyé des filles et des
travestis qui alors y faisaient tache…
Thomas, le chanteur de ce groupe de rock alternatif que tu aimais bien, venait de lancer un nouveau projet. Ce groupe, dont l’album avait été produit par le guitariste de FFF, devait jouer ce
samedi-là à l’Erotika. Il s’y produisait assez régulièrement, avais-tu cru comprendre. Dans la semaine, parce que tu avais entendu parler d’invitations à récupérer sur radio 102.3, tu étais allé,
un midi, chercher deux places pour le concert.
Ce samedi-là, donc, vous débarquiez à l’Erotika. Vous ne vous étiez pas renseignés. Vous ne saviez pas qu’il ne s’agissait pas vraiment d’une
salle de concert. Il avait beau être près de minuit, la salle était vide. Les mecs en sapes chics et les nanas apprêtées qui arrivaient peu à peu ne laissaient planer aucune ambiguïté sur la
nature du lieu. De toutes façons, peu de gens, à cette heure, étaient là pour le groupe. D'ailleurs, il était patent qu'il n'allait pas jouer tout suite...
Cela faisait un moment que tu n’étais pas rentré dans une discothèque. Une discothèque, vous auriez dû vous en douter. La musique, crois-tu te souvenir, était médiocre. Boire, il n’y avait que ça
à faire. Les consos s'additionnaient encore en francs. Les gens dansaient mollement. L’ennui infusait lentement.
Puis vint l’heure du concert. Son dernier show. Mais, ça, tu ne le savais pas encore.
Sa prestation, tu ne t’en rappelles pas vraiment bien. Le groupe, livrant avec fougue son funk-rock en français, s’amusait, c'est sûr. Devant un public majoritairement indifférent, principalement
impatient que les instruments dégagent et que le dancefloor s’électrise. Tu sais pourtant, sitôt les amplis éteints, que vous êtes partis. A l’époque, tu aimais bien moins danser
qu’aujourd’hui.
Le surlendemain, un entrefilet dans un journal.
Le chanteur était tombé du toit.
Après le concert, il avait entrepris l’escalade de la façade de l’immeuble. Perché une fois de trop.
Et pendant que tu rentrais, que tu te couchais, que tu t’endormais, à seulement quelques centaines de mètres de toi, il avait glissé.
On l’a un peu oublié aujourd’hui. Les disques de ses deux groupes ne traînent sans doute même plus dans les bacs à soldes. Toi, tu aimes bien,
pourtant, les réécouter parfois. Des échos, des larsens d'adolescence...
C’est en recherchant il y a peu les accords de La mouche, chanson qu’il avait reprise en guise de clin d’œil avec son premier groupe - le plus connu - que tu avais incidemment repensé à
lui, à cette soirée parisienne lointaine et floue, à cette énième tragédie rock à la con…
Bourré à craquer le Trabendo pour le retour de dEUS à Paris. La polémique qui vient de Belgique quant à l’absurde embargo imposé aux
journalistes par Universal, on s’en tape. L’un des meilleurs groupes du monde joue ce soir à Paris. Et les morceaux de Vantage Point, découverts depuis lundi, bourdonnent déjà dans mes
oreilles, en rotation lourde. Evidents, savants, terriblement accrocheurs, ils prendront un relief prodigieux à l’épreuve de la scène : du tubesque The Architect jusqu’à l’ultime
morceau de l’album, Popular Culture, joué en dernier pour le second rappel et rappelant enfin, après les explosions soniques et les arrangements tortueux, la douceur et la science
mélodique de Little Arithmetics. Dans cette salle à la configuration si étrange, cerné par le public, Tom Barman semble s’amuser, se lâcher. C’est un bon soir. Le leader de dEUS est
d’humeur dansante. Et Dieu sait si on l’a connu plus crispé.
Il apparaît assez évident que ce groupe enfin stabilisé, après de nombreux changements de personnel, n’a qu’un défaut tout relatif : celui de venir de Belgique. Si dEUS était un groupe
anglais ou américain, gageons que ce ne serait pas au Trabendo qu’ils joueraient ce soir-là, mais juste à côté au Zénith… Ce n’est pas le cas. Tant mieux. A côté des nouveaux morceaux tous
remarquables, le groupe aligne ses classiques avec autant de fougue que de classe : Fell off the Floor, Man, Instant Street et son irrésistible crescendo, Theme From
Turnpike, For the Roses, Suds and Soda…
Et les souvenirs de ce groupe-compagnon affluent en vrac. Douze ans dans mon rétroviseur intime. La découverte du groupe via un cd des Inrocks où explosait Fell off the Floor, Man (ce
morceau, je crois que je ne m’en remettrai jamais) ; un show-case acoustique à la Fn*c Bastille ; les concerts de la fin des années 90 à la Cigale ou au Festival de Saint-Nolff, quand le
beau Stef Kamil Carlens, parti depuis fonder Zita Swoon, faisait encore partie du line-up originel ; l’enchantement pop de The Ideal Crash ; le retour raté mais émouvant de la Route
du rock 2004 ; la projection du long métrage d’un Tom Barman revenu au quasi-anonymat sous ses frusques de cinéaste au mk2 Beaubourg ; le concert de l’Olympia, Arno dans la
salle, pour la sortie de Pocket Revolution ; celui de Paris-Plage il y a bientôt deux ans, où, divine surprise, SKC vint rejoindre Tom Barman pour enfin, frères ennemis
réconciliés, rechanter avec lui Suds and Soda.
A voir le groupe jeudi soir, je me dis que la liste de ces bons souvenirs n'a pas fini de s’allonger.
Hier soir, pendant tout le concert de Gogol Bordello, assurant la première partie de The Hives au Zénith, on pouvait lire ceci en lettres rouges
défilant sur deux panneaux lumineux : "stage diving / slam interdit sous peine d’exclusion"
Ce n'est pas que votre serviteur soit un adepte de la chose, mais tout de même... Si le Zénith ne voulait pas qu'Iggy Pop ou Mathias Malzieu de Dionysos remettent les pieds sur sa scène, il ne
fallait pas s'y prendre autrement. Et puis si on interdit désormais de slammer aux concerts de rock, on ouvre la voie à quoi ?
- Accès à la fosse interdit aux plus de trente ans
- Interdiction de se frayer un chemin dans la foule une fois le concert commencé
- Interdiction de déborder, en dansant, le périmètre autorisé à chaque spectateur
- Interdiction de décoller ses deux pieds du sol de manière simultanée
- Interdiction de chanter faux
- Interdiction de frapper dans les mains à contretemps
- Interdiction de siffler la première partie
- Interdiction de discuter au bar pendant les concerts
- Interdiction de photographier sous peine de confiscation de l’appareil
- Interdiction de renverser son gobelet de bière par terre
- Interdiction d’assister au concert sans bouchons d’oreilles
- Interdiction de pogoter
- Interdiction de porter un tee-shirt à l’effigie d’un autre groupe que celui à l'affiche
- Interdiction de se lever pour quiconque
aurait une place assise (une tolérance sera éventuellement accordée pour le rappel)
- Interdiction de réclamer un second rappel
- Interdiction de stationner dans la salle plus de cinq minutes après la fin du concert
Comment ? Certaines propositions ci-dessus ont déjà été validées ? Ah bon ?