À propos de Miss Peregrine et les enfants particuliers, de Tim Burton
À défaut d’être un grand film (il n’en a pas signé depuis vingt ans, n’en signera sans doute plus), le nouveau Tim Burton est, une fois n’est pas coutume, un objet passionnant, paradoxal, entièrement tiraillé entre un imaginaire sclérosé (ce fameux « univers » recyclé en vase clos depuis deux décennies et qu’on n’en peut plus de voir pourrir lentement d’un film foireux à l’autre) et la tentative du cinéaste – encore plus consciente qu’elle l’était dans Big Fish – d’y échapper.
Très concrètement, tout ce qui renvoie trop clairement à cet univers extrêment marqué est, dans ce nouveau film, symbolisé en terme d'espace par un lieu coupé du monde et en matière de temporalité par une journée se répétant en boucle de manière ultra-prévisible : soit, ce qu'est devenu l'imaginaire burtonien depuis que le réalisateur se contente de le visiter en touriste avisé (depuis Sleepy Hollow, donc). De manière significative, ces incursions chez Miss Peregrine, c'est aussi ce qu'il y a de plus faible dans le film. Bref, comment en sortir ? C'est ce que le spectateur jadis fan de Burton se demande depuis quinze ans, après un faux espoir de décadrage qui se révéla faux-pas (La planète des singes).
Contrairement à ce que pouvait laisser penser une bande-annonce assez repoussante, cette fois est peut-être la bonne. Noyé sous les chromos et les grimaces, Big Eyes, avant-dernier film de sinistre mémoire, n’était – sous ses airs de biopic, de sous-Ed Wood (mêmes scénaristes !) – que le pénible leurre d’une envie d’aller voir ailleurs. C’est véritablement ici, en adaptant un livre récent probablement inspiré en partie par son travail, que Burton étonne enfin. Dans son long prologue « réaliste » d’abord. Et, surtout, dans un élan final destructeur rappelant le freakshow déchainé à la fin de Frankenweenie, son dernier rejeton estimable.
À ce moment-là de Miss Peregrine et les enfants particuleirs, il reste une demi-heure environ. On se dit que la consécration muséographique a fait du bien à Burton, qu’elle lui a peut-être permis de laisser derrière lui ses oripeaux de dessinateur compulsif de monstres en tout genres, ceux-là même – ceux de son livre La triste fin du petit enfant huître – auxquels il semble rendre une dernière visite ici. Alors, tandis qu’une affreuse dance-music de fête foraine remplace les traditionnelles partitions orchestrales de Danny Elfman, tandis qu'un Samuel L. Jackson encore moins sobre que de coutume prend le relais du Nicholson de Batman, tous les protagonistes de Miss Peregrine et les enfants particuliers semblent extirpés de leurs abris, de la pénombre du conte, du décorum gothique (c'est littéralement le cas dans le récit). Et le cinéaste (que l’on croit d'ailleurs apercevoir dans un plan fugace) de sa zone de confort.
Ainsi, aimerait-on croire désormais, c’est bel et bien lorsqu’il réussira à sortir de l’imagerie – ou plutôt quand celle-ci, toujours là, saura déferler dans le réel (comme les Martiens de Mars Attacks ! envahissant la Terre il y a vingt ans) – que ce cinéaste jadis majeur réussira à nous intéresser encore un peu.
À défaut d’un grand film, une bonne nouvelle.