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13 juillet 2016 3 13 /07 /juillet /2016 21:30
Bruce Springsteen & the E Street Band, Accor Hotel Arena, 11/07/2016

C’est à croire qu’il se passera presque toujours quelque chose d’exceptionnel à un concert de Bruce Springsteen avec le E Street Band, un truc singulier qui fera qu’on s’en souviendra très précisément à chaque fois. En 2003, au Stade de France, c’était les trombes d’eau se déversant sur nous durant un Dancing in the Dark libérateur. En 2008, au Parc des Princes, le sentiment que c’était le dernier concert du Boss qu’on voyait ensemble pour un long moment avec cet ami cher avec qui j’en avais partagé tant d’autres. Il y a quatre ans, c’était (au même endroit que lundi, encore appelé alors POPB) Bruce m'accompagnant à distance dans la première nuit suivant la naissance de mon fils Lou. Et puis, il y a deux jours, ce fut donc cette fameuse coupure de courant qui plongea l’Accor Hotel Arena, vers 23 heures, dans une scène pour le moins étrange.

Faut-il écrire ici que l’exceptionnel et l’inattendu ne sont plus forcément ce que j’attends ces temps-ci d’un concert ? J’ai eu mon compte le 13 novembre et voir les lumières se rallumer, un morceau s’interrompre brusquement – pour mon deuxième concert seulement depuis cette funeste soirée – inutile de vous dire comme cela aurait pu gâcher la fête. Heureusement, très vite, on regarde autour de soi, on se rend compte que le personnel de sécurité, nombreux, ne tique pas, que la barrière barrant l’issue de secours à côté de laquelle on se trouve n’est pas déplacée, qu’en fait... il ne se passe rien. Et puis surtout il y a cette scène hallucinante (de là où je suis, je ne vois pas tout ce qui se passe), qui semble interminable, où Max Weinberg continue d’assurer imperturbablement le tempo pendant au moins trois minutes, dans l’attente sans doute que l’amplification revienne d’elle-même. Puis Max et les autres musiciens finissent quand même par s’arrêter de jouer dans le vide. Plus de son. Plus d’écrans géants. La salle éclairée comme si c’était fini. Moi, je me demande encore un peu ce qui se passe, d’autres hurlent « Bruuuuce ! » comme d’habitude ou se mettent à entonner à pleins poumons le pont de Badlands, signal habituel d’un rappel qui battait pourtant déjà son plein depuis deux morceaux. Sous la clameur, un son d’alarme qu’on distingue mal, un message d’alerte sans doute automatique qu’on ne comprend pas. Mais ça va. Il suffit de réfléchir. C’est les plombs qui ont sauté. C’est un incident technique. C’est tout. Le concert reprendra – ouf ! – pour une grosse demie heure, lumières allumées, son encore plus brouillon, mais ferveur du public intacte, voire décuplée. Pendant l’interruption d’une quinzaine de minutes, le E Street Band n’aura pas quitté la scène, Springsteen aura signé des autographes, serré des mains, sans doute plus tranquille que moi. Egal à lui-même en tout cas.

Ça avait cafouillé juste avant pourtant. Le rappel commençait fort, avec Jungleland, sommet de storytelling springsteenien, mais le groupe avait ensuite bizarrement foiré Born to Run, hymne retombant pour la première fois un peu à plat. Et c’est peut-être, me dis-je, parce que je commençais à m’ennuyer pendant Ramrod, troisième titre du rappel, qu’à ce moment précis le courant a sauté... Le concert fut grandiose, indéniablement (même si Bruce fut bien moins loquace qu’à l’accoutumée), mais on se savait dès le départ moins sensible au versant rockab’ assumé d’une grosse partie de The River, le double album mythique – mais inégal – célébré durant cette tournée. Ces morceaux entrainants (Cadillac Ranch, I’m a Rocker, Sherry Darling...) convoquant le souvenir d’un rock sixties efficace et aussi lourdaud dans sa forme que léger dans son propos, on les doit, on le sait, à l’influence, à l’époque de l’enregistrement, du guitariste Steve Van Zandt (qui s’éloignera du E Street Band dès l’album suivant), au désir de retrouver un peu de légèreté après la noirceur et le pessimisme d’un Darkness on the Edge of Town si difficilement accouché. De manière significative, d’ailleurs, ne fut joué de ce disque-ci que Badlands, sa chanson la plus fédératrice, la plus populaire avec les années.

Si l’on rechigne à partager l’enthousiasme de tant d’autres sur la longue foire gospel/soul du Shout des Isley Brothers fréquemment repris au rappel par la troupe sur cette tournée, on mesure rétrospectivement la chance qui fut la notre quand on se repenche sur la setlist et quand on se rend compte avoir eu droit le même soir à des morceaux aussi précieux que The River, Nebraska ou Incident on 57th Street, ce dernier joué seul au piano en ouverture du concert et auquel répondra pour le deuxième et ultime rappel, près de quatre heures après, un Thunder Road en solo lui aussi, simplement accompagné à la guitare acoustique.

On se sera dit aussi, comme à chaque fois, que le E Street Band vieillit bien mais on aura été frappé – on ne s’était pas vus depuis trois ans ! – par les silhouettes épaissies (Steve Van Zandt, Patti Scialfa), asséchées (Max Weinberg), les rides creusées, le vieillissement assumé et porté beau étant, semble-t-il, le dernier de leurs soucis. Sans Danny Federici, sans Clarence Clemons (plus que bien remplacé par son neveu Jake depuis une poignée d’années), le E Street Band demeure mais on se demande à chaque fois si ce n’est pas la dernière fois qu’on le voie dans cette configuration. Parce que, avouons-le, on a envie d’autre chose (une nouvelle tournée solo, un retour à l’introspection, un concert à quatre ou cinq seulement, en garde rapprochée) tout en sachant que c’est avec ses vieux complices – et en nombre – que Bruce s’accomplit le mieux sur scène. C’est peut-être pour cela, par esprit de contradiction, que le morceau qui m’aura le plus bouleversé ce soir-là aura été l’inattendu Tougher Than the Rest, perle issue de l’album de rupture d’avec le E Street Band (Tunnel of Love, chef-d’œuvre ô combien sous-estimé) et chanson que je n’avais jamais entendue jouée en public. D’autres, à l’inverse souvent entendues, conservent leur puissance intacte. Et l’émotion sera aussi venue, contre toute attente, de ces morceaux-là, de ces scies, comme on dit : d’un Hungry Heart sismique à Because the Night en passant par The Rising, chanson de la résilience post-11/09 provoquant ce coup-ci en moi un écho tout particulier.

Ce soir, mercredi 13 juillet, tandis que j’écris ces lignes, le E Street Band joue pour le deuxième soir à Paris. Je regrette déjà de ne pas y retourner.

 

 

A voir, le moment de la coupure : https://www.youtube.com/watch?v=oWi_ylZk8gQ

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