6 mai 2008
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19:26
Est-ce que ça vaut vraiment le coup de parler ici du nouveau clip de Justice ? En parler, c'est alimenter la polémique, celle-là même,
recherchée, pour laquelle il a été balancé il y a quelques jours sur Internet.
Pourtant, oui, ça vaut le coup. Parce qu'on est le 6 mai 2008. Parce que l'irresponsabilité et l'immaturité politique, ça va bien ! Parce que
les fictions qui viennent légitimer les discours les plus vils me foutent en rogne. Et parce que le morceau - excellent - ne méritait pas pareil traitement.
Ce clip, donc, est signé Romain Gavras, pillier du collectif Kourtrajmé. Pour aller vite, on pourrait dire que c'est un peu le refoulé de La Haine (d'ailleurs, rappelons que Mathieu Kassovitz et Vincent Cassel comptent parmi les parrains de ce collectif féru de cinéma tape-à-l'oeil et de culture hip hop). Il met en scène une bande de jeunes venant semer la zone dans Paris. Des jeunes de quartiers "sensibles" forcément, des noirs et des arabes bien sûr (!). Mais tu vois, il y a de la distanciation, les jeunes, là, ils viennent dans des cuirs griffés Justice. On donne à voir au spectateur ce qu'il a envie de voir, on le confronte aux représentations qu'il se fait du monde, de la banlieue. Et puis surtout, tu vois, il y a le message trop rebelle à la fin, quand la bande, jusqu'alors filmée en caméra subjective, se retourne contre le journaliste, le roue de coup et l'invective pour dénoncer la propension des médias à filmer la violence. Trop forte, la dénonciation, les mecs ! Belle hypocrisie, surtout. C'est bien, finalement, de l'avouer par inadvertance dans votre clip, cette fascination pour les images de chaos que vous partagez avec votre double de fiction planqué derrière la caméra. Comme une prise de conscience soudaine, une belle manière de se tirer une balle dans le pied... Le prétexte éculé de la critique des médias (qui fleure bon la démagogie rance du "tous pourris") servait déjà à Ruggero Deodato pour justifier, il y a près de trente ans, les atrocités filmées dans son impressionnant Cannibal Holocaust (plus récemment, on pensera aussi à la posture du complaisant donneur de leçons Michael Haneke dans Funny Games).
Cette posture qui, au final, sert à se dédouaner à peu de frais rend encore plus antipathique ce clip, même pas fichu d'assumer jusqu'au bout ses penchants punks et nihilistes, même pas foutu, surtout, de suivre jusqu'au bout ses personnages... Ouais, tu vois, nous, en fait, on cautionne pas, hein ! On met en garde. C'est notre rôle d'artistes, tu vois... Très bien, mais, vous savez, c'est pas super fin votre discours, les gars... Certains pourraient mal l'interpréter... Et puis, en même temps, on se souvient tout d'un coup que les deux musiciens de Justice viennent de Versailles (en banlieue, non ?), qu'on les écoute sans doute bien peu dans ce qu'ils imaginent être "la banlieue" et qu'ils sont un peu en manque de "street credibility". Faut les comprendre, les pauvres... D.A.N.C.E., le tube bubblegum tout gentil, tout rose, leur colle tellement aux semelles qu'ils lui font même un sort (à 4' 53) dans ce nouveau clip révélant enfin leur côté sombre...
Par ailleurs, plus que La Haine (qu'on l'aime ou pas, le film était novateur et porteur d'un discours respectable), le clip de Romain Gavras me paraît viser un diptyque essentiel du cinéma américain des années 70 : Assaut de John Carpenter et Les Guerriers de la nuit de Walter Hill. Certains morceaux de Justice évoquait d'ailleurs déjà les compositions minimalistes de John Carpenter pour ses films. The Warriors et Assault on Precinct 13, donc, se répondaient : l'un statique (prototype du film de siège), l'autre en mouvement constant (et préfigurant les jeux de plateaux). Quand l'un proposait une variation, sur le mode Rio Bravo, du film fondateur de l'horreur contemporaine (La nuit des morts-vivants de George A. Romero), l'autre inventait le jeu vidéo transposé au cinéma alors que les consoles et les ordinateurs personnels n'en étaient pour le grand public qu'à leurs balbutiements. Dans ces deux films, la stylisation extrême mettait à distance le réalisme et la fascination des réalisateurs pour les phénomènes de bandes urbaines. Juste retour de choses, Carpenter se souviendra d'ailleurs très bien du film de Walter Hill et de sa déambulation d'un quartier à l'autre, des affontements contre différents adversaires (une nouvelle bande correspondant à chaque nouvel espace), quand il tournera peu de temps après New York 1997...
Cette distance, cette stylisation, ce sens de la mise en scène venant sublimer de pauvres arguments de série B, c'est bien ce qui manque au nouveau clip de Justice. Cette vidéo, on n'a vraiment pas envie de la regarder avec n'importe qui tant elle vient - au corps défendant de ses auteurs, j'en suis sûr - alimenter tous ces discours abjects que l'on nous sert depuis trop longtemps sur l'insécurité.
Problème presque similaire, finalement, pour un autre clip récent signé Romain Gavras, misant déjà tout - et trop - sur le spectaculaire, l'effet pour l'effet...
Signatune, pour DJ Medhi, avait, c'est certain, de l'allure (comme le clip de Stress). Il était même assez drôle. Mais il y avait déjà là-dedans un truc embarrassant, ce regard condescendant de celui qui vient filmer les trognes, les tronches des non-professionnels (ici des adeptes du tuning), pour que le téléspectateur se marre à peu de frais. On imagine les séances de castings de Signatune et de Stress et on a juste envie de vomir face à tant de cynisme. Une sorte de syndrome Strip-Tease (cette série de documentaires belges souvent peu respectueux de ceux qu'ils filment) appliqué au clip musical...
Ce clip, donc, est signé Romain Gavras, pillier du collectif Kourtrajmé. Pour aller vite, on pourrait dire que c'est un peu le refoulé de La Haine (d'ailleurs, rappelons que Mathieu Kassovitz et Vincent Cassel comptent parmi les parrains de ce collectif féru de cinéma tape-à-l'oeil et de culture hip hop). Il met en scène une bande de jeunes venant semer la zone dans Paris. Des jeunes de quartiers "sensibles" forcément, des noirs et des arabes bien sûr (!). Mais tu vois, il y a de la distanciation, les jeunes, là, ils viennent dans des cuirs griffés Justice. On donne à voir au spectateur ce qu'il a envie de voir, on le confronte aux représentations qu'il se fait du monde, de la banlieue. Et puis surtout, tu vois, il y a le message trop rebelle à la fin, quand la bande, jusqu'alors filmée en caméra subjective, se retourne contre le journaliste, le roue de coup et l'invective pour dénoncer la propension des médias à filmer la violence. Trop forte, la dénonciation, les mecs ! Belle hypocrisie, surtout. C'est bien, finalement, de l'avouer par inadvertance dans votre clip, cette fascination pour les images de chaos que vous partagez avec votre double de fiction planqué derrière la caméra. Comme une prise de conscience soudaine, une belle manière de se tirer une balle dans le pied... Le prétexte éculé de la critique des médias (qui fleure bon la démagogie rance du "tous pourris") servait déjà à Ruggero Deodato pour justifier, il y a près de trente ans, les atrocités filmées dans son impressionnant Cannibal Holocaust (plus récemment, on pensera aussi à la posture du complaisant donneur de leçons Michael Haneke dans Funny Games).
Cette posture qui, au final, sert à se dédouaner à peu de frais rend encore plus antipathique ce clip, même pas fichu d'assumer jusqu'au bout ses penchants punks et nihilistes, même pas foutu, surtout, de suivre jusqu'au bout ses personnages... Ouais, tu vois, nous, en fait, on cautionne pas, hein ! On met en garde. C'est notre rôle d'artistes, tu vois... Très bien, mais, vous savez, c'est pas super fin votre discours, les gars... Certains pourraient mal l'interpréter... Et puis, en même temps, on se souvient tout d'un coup que les deux musiciens de Justice viennent de Versailles (en banlieue, non ?), qu'on les écoute sans doute bien peu dans ce qu'ils imaginent être "la banlieue" et qu'ils sont un peu en manque de "street credibility". Faut les comprendre, les pauvres... D.A.N.C.E., le tube bubblegum tout gentil, tout rose, leur colle tellement aux semelles qu'ils lui font même un sort (à 4' 53) dans ce nouveau clip révélant enfin leur côté sombre...
Par ailleurs, plus que La Haine (qu'on l'aime ou pas, le film était novateur et porteur d'un discours respectable), le clip de Romain Gavras me paraît viser un diptyque essentiel du cinéma américain des années 70 : Assaut de John Carpenter et Les Guerriers de la nuit de Walter Hill. Certains morceaux de Justice évoquait d'ailleurs déjà les compositions minimalistes de John Carpenter pour ses films. The Warriors et Assault on Precinct 13, donc, se répondaient : l'un statique (prototype du film de siège), l'autre en mouvement constant (et préfigurant les jeux de plateaux). Quand l'un proposait une variation, sur le mode Rio Bravo, du film fondateur de l'horreur contemporaine (La nuit des morts-vivants de George A. Romero), l'autre inventait le jeu vidéo transposé au cinéma alors que les consoles et les ordinateurs personnels n'en étaient pour le grand public qu'à leurs balbutiements. Dans ces deux films, la stylisation extrême mettait à distance le réalisme et la fascination des réalisateurs pour les phénomènes de bandes urbaines. Juste retour de choses, Carpenter se souviendra d'ailleurs très bien du film de Walter Hill et de sa déambulation d'un quartier à l'autre, des affontements contre différents adversaires (une nouvelle bande correspondant à chaque nouvel espace), quand il tournera peu de temps après New York 1997...
Cette distance, cette stylisation, ce sens de la mise en scène venant sublimer de pauvres arguments de série B, c'est bien ce qui manque au nouveau clip de Justice. Cette vidéo, on n'a vraiment pas envie de la regarder avec n'importe qui tant elle vient - au corps défendant de ses auteurs, j'en suis sûr - alimenter tous ces discours abjects que l'on nous sert depuis trop longtemps sur l'insécurité.
Problème presque similaire, finalement, pour un autre clip récent signé Romain Gavras, misant déjà tout - et trop - sur le spectaculaire, l'effet pour l'effet...
Signatune, pour DJ Medhi, avait, c'est certain, de l'allure (comme le clip de Stress). Il était même assez drôle. Mais il y avait déjà là-dedans un truc embarrassant, ce regard condescendant de celui qui vient filmer les trognes, les tronches des non-professionnels (ici des adeptes du tuning), pour que le téléspectateur se marre à peu de frais. On imagine les séances de castings de Signatune et de Stress et on a juste envie de vomir face à tant de cynisme. Une sorte de syndrome Strip-Tease (cette série de documentaires belges souvent peu respectueux de ceux qu'ils filment) appliqué au clip musical...