On doit à Henry Mancini deux chansons parfaites, deux merveilles pop enregistrées pour deux films de Blake Edwards, à sept ans d'intervalle. La première, l'insurpassable Moon River est interprétée par Audrey Hepburn dans Diamants sur canapé (1961). La seconde, Nothing to Lose, chantée par Claudine Longet, offre l'un des rares moments de répit dans le déroulement de The Party, le chef-d'oeuvre du cinéaste sorti en 1968. Les deux chansons - et les deux scènes en question - ont beaucoup à voir l'une avec l'autre. Dans les deux cas, une pause dans le récit, l'actrice qui, le temps d'une séquence enchantée, s'impose en chanteuse s'accompagnant d'une simple guitare (Claudine Longet enregistrera ensuite quelques disques estimables et de très chouettes reprises).
Spectateur, le personnage masculin est, dans les deux scènes, en retrait. C'est un observateur lointain (George Peppard dans Diamants sur canapé). Ou alors il voudrait l'être mais ne peut se faire oublier (Peter Sellers dans The Party). Si la scène de Diamants sur canapé délaisse assez vite Peppard pour se concentrer sur la chanson et sur son interpète, il ne peut en être de même dans The Party, un film dans lequel rien ne peut se dérouler sans que le personnage interprété par Peter Sellers ne vienne perturber la situation. Même écouter Nothing to Lose tranquillement, c'est impossible. Aucun respect, vraiment ! Alors qu'Audrey Hepburn chantait Moon River pour elle-même sans soupçonner la présence de son voisin, Claudine Longet est ici consciente de l'irruption de cet acteur indien gaffeur invité par mégarde à une réception dans une luxueuse villa hollywoodienne. Pourtant, elle s'en accommode, elle échange même quelques regards avec lui. Si le dispositif s'apparente alors à une reprise ouvertement grotesque et détournée de la la jolie scène de Diamants sur canapé, la chanson demeure - malgré les interférences burlesques - d'une délicatesse rare. Moins connue que Moon River, Nothing to Lose est assurément l'une des plus belles qu'ait composé Mancini.