A propos de Peau de cochon de Philippe Katerine (texte initialement publié dans Bref n°65)
Fourre-tout foutraque ou émouvant puzzle biographique, quoi que l’on en pense, Peau de cochon ne laisse pas indifférent. Faisant suite aux convaincantes incursions d’un Katerine fictionné dans les films de Thierry Jousse (Nom de code : Sacha, Julia et les hommes), il prolonge l’expérience d’1 km à pied, le court réalisé par le chanteur dans la série « Portraits » (diffusée sur Arte) : un homme, une caméra dv et douze plans-séquences autonomes composant un long métrage où se mêlent traces biographiques et obsessions intimes, expérimentations et petites fictions, le tout dénudant un homme se livrant là plus encore que dans ses chansons. De musique, il sera peu question ici, si ce n’est dans une savoureuse séquence d’ouverture où Dominique A fait écouter à l’homme à la caméra ses premières armes d’auteur/compositeur, une cassette enregistrée à 13 ans. C’est à la fois drôle (sa voix d’avant la mue ; la note d’intention d’époque) et émouvant (ce qu’on lit dans son regard ; sa façon de doubler la voix de l’adolescent qu’il était), un peu à l’image de tout ce film étrange.
Car étrange, le film l’est vraiment. Irritant, ne ressemblant pas à grand-chose de connu, il frôle parfois le je-m’en-foutisme, mais sait presque toujours retomber sur ses pieds. Les saynètes Hélicoptère 1 & 2 constituent un bon exemple de ses manières de funambule. Dans la première, Katerine filme sa fille minaudant et racontant une histoire sans queue ni tête. Elle est mignonne, on cherche les ressemblances, mais ce n’est guère passionnant. On attend, perplexe. Ce qui suit – Katerine racontant, au mot et à l’intonation près, la même histoire – apporte alors une dimension toute autre, presque théorique, à cet Hélicoptère 1 qui ne ressemblait qu’à un film de famille. Entre le remake « fait maison » d’Une sale histoire et la posture du chanteur se frottant, pour une reprise, à un texte qui n’est pas sien, le réalisateur finit par tirer son épingle du jeu, toujours sur le fil du dérisoire.
Si le film gagne sur la longueur une densité que les scènes isolées n’avaient pas nécessairement, c’est peut-être aussi parce que Katerine est plus un auteur d’albums qu’un faiseur de singles. Quand il fait du cinéma, il lui faut du temps, variations et digressions sur un même thème – ici des déambulations pédestres, des discussions alcoolisées – pour que se déploie son univers et que sous la légèreté affleure la gravité. Ce qui était patent au fil du double album Les créatures & L’homme à trois mains trouve ici une nouvelle illustration, l’aspect rudimentaire et peu aimable de la mise en image rappelant le second cd du diptyque de 1999, celui qu’il enregistra seul chez lui. Si bien que si l’on se piquait de regarder Peau de cochon comme on écouterait un album non-officiel de sa discographie, on constaterait que les duos l’ont emporté. Comme si ce film donnait à Katerine l’occasion de s’effacer pour dresser une sorte d’inventaire sentimental où l’on croise aussi bien Héléna Noguerra, Thierry Jousse ou le bassiste des Little Rabbits que des proches plus anonymes.
Impudique jusqu’au malaise, le film refuse la facilité, n’hésitant pas à montrer l’auteur sous un jour peu glorieux (sa lâcheté, sa jalousie, ses étranges habitudes scatologiques), brouillant souvent les pistes jusqu’à ce que l’on ne sache plus distinguer le vrai de la fiction. Sur le registre intime, Peau de cochon ne saurait toutefois rivaliser avec les fulgurances formelles du beau Tarnation de Jonathan Caouette . Ce n’est d’ailleurs pas son but. Et au fond, on n’aime pas Peau de cochon comme on aime un grand film, car le fait qu’il se serve là d’une caméra plutôt que d’une guitare ne fait pas de Katerine un cinéaste. On se gardera donc d’affirmer qu’il s’agit là de sa meilleure production. Ce qui est sûr par contre, c’est qu’on a regardé Peau de cochon en dvd comme on a goûté ses chansons et comme on va écouter son prochain album. Rien n’interdira, comme pour tout disque que l’on aime, d’y revenir régulièrement, de préférer, au gré de l’humeur, telle séquence plutôt que telle autre, de l’oublier un moment, puis de le redécouvrir…