Violent Days, premier long métrage de Lucile Chaufour, est sorti en salles ce mercredi. Entre documentaire et fiction, ce manifeste prolétaire nourri de mythologie américaine et de rock & roll des origines est un objet cinématographique radical, rare et intrigant qu'il serait dommage de rater...
Il aura fallu attendre plusieurs années avant que Violent Days (maintes fois primé, maintes fois annoncé pourtant) sorte enfin en salles. Le temps de découvrir L’amertume du chocolat, court métrage amorcé il y a longtemps mais finalisé l’an dernier seulement. Et d’un film à l’autre, des échos manifestes : deux héroïnes prolétaires, de la détresse, un noir et blanc figeant la temporalité comme les existences de personnages bloqués dans une imagerie fifties idéalisée. La mère dans L’amertume du chocolat, la blonde platine de Violent Days : deux solitudes, deux prisonnières des rôles qu’on leur a distribués, mais qu’elles subissent, visiblement. L’une, au foyer, ne sachant élever ses enfants ; l’autre, simili-Marilyn jouant à contrecœur la figurante dans un univers viril qui ne peut (ne sait) la tolérer (celui, donc, des amateurs de rock’n’roll des origines).
Cette figure tragique (la femme qui aime sans retour) illumine en creux le passionnant long métrage de Lucile Chaufour. Scindé en deux parties, Violent Days se déroule d’abord en road trip dérisoire entre Paris et Le Havre. On roule vite, on picole, on fait les cons, on pourrait se crasher sur la route comme James Dean ou Jayne Mansfield. “No Future” à cet horizon de miteux road movie sur lequel s’amoncellent de pesants nuages. Le but pourtant, trouée de bonheur dans ce morne quotidien d’ouvriers (ce sont eux qui le disent…), c’est ce concert des Flying Saucers, rassemblement promis de bananes, de cuirs et de choucroutes, loin, bien loin de tout revival rock, urbain et hype, dicté par le marketing des années 2000. Deuxième partie : le concert et ce qui l’entoure, la violence, la misère, la banlieue autour, réactivant, dans une scène de baston sidérante de vérité, la mythologie du blouson noir…
Cet apparent anachronisme du film, c’est aussi la forme choisie – à contre-courant, libre – qui l’entretient. Car Violent Days n’est pas une fiction. Pas plus qu’un documentaire. Au fil narratif somme toute ténu, se juxtaposent les propos de ceux que la réalisatrice suit sans jamais les juger. Entre fiction et documentaire, le film ne choisit pas. Et c’est là, dans cet entre-deux, qu’il devient passionnant, rendant dérisoire – un peu à la manière du mythique Rude Boy de Jack Hazan (qui suivait un fan de The Clash) – la volonté de trier le vrai du faux. Fondé sur de nombreux entretiens, de nombreuses rencontres, Violent Days échappe, par son âpreté, son empathie et sa sincérité, à tout écueil folklorique, à tout point de vue condescendant. C’était bien le plus important face à un tel sujet.
Parce qu’elle participe de ce rêve “rockabilly” tout en restant à sa marge – préférant parfois la vraie vie (la plage) au fantasme (le concert) – la blonde (pauvre fille influençable évoquant l’héroïne de The Misfits de John Huston) finit par nous émouvoir, se soustrayant au dispositif dans quelques plans cotonneux où, durant le générique, la fiction pure reprend le dessus. Signe peut-être, pour elle, d’une provisoire émancipation…
S.K.
Texte initialement publié dans Bref, le magazine du court métrage (n°89, septembre 2009)
http://www.brefmagazine.com/pages/actus.php?id_actu=90