Mercredi soir, à la Cité de la Musique, on relisait, live, un bien beau chapitre de l’histoire de la pop. Histoire de Melody Nelson y était en effet
rejouée en intégralité sous la direction de Jean-Claude Vannier. On doit à cet arrangeur et compositeur précieux, discret chanteur aussi, une bonne part de la saveur du chef d’œuvre de Gainsbourg, une partie de ses musiques et surtout la totalité de ses
arrangements déments. C’est fringué comme un Pete Doherty relooké par Hedi Slimane qu’est entré sur scène le sexagénaire. Converse aux pieds, fine cravate noire desserrée sur chemise blanche
débraillée, il était entendu que Vannier ne se laisserait pas intimider par la solennité de l’hommage rendu – à travers une exposition et des concerts exceptionnels – à son ami
Serge. C’est donc accompagné par l’Orchestre Lamoureux, le Jeune Chœur de Paris et quelques musiciens pop de haute
volée (dont, énorme émotion !, Herbie Flowers, 70 ans, le bassiste au style si identifiable de l’album Histoire de Melody Nelson, celui aussi qui joua sur Walk on the Wild Side
de Lou Reed) que Vannier entama cette longue soirée. D’abord par quelques chansons de son cru (son versant crooner, artisan d’une noble variété française, sa voix chaude évoquant parfois le
timbre d’un David McNeil) et surtout par quelques musiques de films (Cannabis, Slogan, Les chemins de Katmandou : premières collaborations avec Gainsbourg). Ces
dernières nous rappelèrent que Vannier commença par travailler avec Michel Magne, faisant de lui, dans certains passage au groove irrésistible, un digne correspondant français de Lalo Schiffrin
ou de Janko Nilovic. Vint ensuite, joué en intégralité, L’enfant assassin des mouches, album instrumental pour la
première fois édité en 2003 mais enregistré en 1972 agrémenté d’un livret-conte de Gainsbourg. Parfois ardu, souvent totalement barré, l’album n’est pas de ceux que l’on écoute chaque jour. Sa
restitution en live mit en lumière le fourmillement orchestral qu’il recèle, entre envolées psychédéliques, pièces symphonique, embardées de musique concrète et expérimentations à la Zappa. Une
œuvre folle, libre, emballante, même si parfois – avouons-le tandis qu’on la redécouvrait avant-hier – lourdement démodée.
Rien de tel bien sûr avec Histoire de Melody Nelson, le monument que tout le monde attendait. Avec
son casting luxueux – réunissant Mathieu Amalric, Alain Chamfort, Daniel Darc, Brigitte Fontaine, Clotilde Hesme, Brian Molko, Seaming To et Martina Topley-Bird (on cherche encore la faute de
goût) – on se demandait bien comment allaient être distribués les sept morceaux de l’album. D’autant plus que ceux-ci ne mettent en scène, en tout et pour tout, que deux personnages, deux
interprètes (Jane et Serge). Il y eut de la place pour tout le monde pourtant, même si de l’excellente Martina Topley-Bird on a pu regretter qu’elle ne fasse que de la figuration (avec Brian
Molko évidemment attendu sur Ballade de Melody Nelson). Dans le registre forcément borderline – raccords finalement avec l’une des images que l’on peut avoir de
Gainsbourg – Brigitte Fontaine (Valse de Melody) et Daniel Darc (Ah Melody) assurèrent sans vraiment convaincre. Trop d’emphase pour l’une. Trop d’approximations pour l’autre.
Appliqués pourtant mais trop eux-mêmes finalement. Pas entièrement convaincant non plus, mais précipité quand même dans une sorte de mission impossible, Mathieu
Amalric à qui échut la lourde tâche d’ouvrir le spectacle avec son titre inaugural (Melody) petit précis de talk-over gainsbourien et exercice forcément casse-gueule même pour un
comédien de sa trempe. Que Cargo culte, sommet de l’album, soit interprété par une femme (la comédienne Clotilde Hesme, étonnamment à l’aise et très en place) permit justement d’éviter
ce piège de la comparaison qui ne pouvait que desservir Amalric. Avec L’hôtel particulier endossé par Alain Chamfort avec sa classe et son professionnalisme habituels, ce fut bel et bien
le morceau le plus habilement revisité de la soirée.
Malgré le caractère forcément artificiel d’une telle entreprise, entendre en direct les lignes de basse de
Herbie Flowers, les cordes et les chœurs de Cargo culte, écouter dans les meilleures conditions sonores cette œuvre extraordinaire (paradoxalement jamais jouée en public par Gainsbourg :
l’album ne marcha pas et à l’époque il ne remonterait sur scène qu'au début des années 80) aura pourtant suffi à notre bonheur…
Stimulant écho que tu nous envoies ici... Et c'est agréable, aussi, quand on n'a pu assister à tel programme, de pouvoir encore l'imaginer, simplement parce qu'il existe et que l'on en trouve des traces...<br />
Bien content, aussi, que Chamfort ait semblé faire si belle prestation.<br />
Très attaché à son album Le Plaisir...
Et bien moi j'adore cet album depuis des lustres. Quelle chance d'avoir vu ce spectacle ! Et avec le bassiste d'origine qui plus est. Un jour je me pencherai sur cette ligne de basse plus sérieusement, je me le suis promis...
"Cela dit, s'il y a bien un album dont je me dis qu'il faudrait que je l'écoute attentivement un de ces 4, c'est bien celui-là..."Euh... oui, quand même, ça serait bien que tu décroches enfin de tes vieux Wham !, Ama-L...Sinon, tu sais, Daniel Darc n'a fait qu'une chanson (et pas la meilleure). Quant à Placebo, en effet, ce n'est "pas si pire"... C'est même pas mal du tout parfois (les deux premiers albums dont je ne me lasse pas). Dans la catégorie "Big in France" et "special teenagers", entre Muse et Placebo, je choisis facilement la bande à Molko...
Mathieu, tu abuses. La meilleure reprise de "Je t'aime moi non plus" que je connaisses est signée Molko & Asia Argento.Molko n'est pas réductible à Placebo (groupe un peu paresseux parfois, mais pas si pire quand même).Du coup je regrette, mais pas complètement : j'y serais allée pour Daniel Darc.Cela dit, s'il y a bien un album dont je me dis qu'il faudrait que je l'écoute attentivement un de ces 4, c'est bien celui-là...