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De la biographie rock...

Décrire le rock. Écrire le rock. La geste de ses héros. François Bon, infatigable, y retourne. Après les Rolling Stones (une somme), un an seulement après Bob Dylan (le récit-puzzle forcément déceptif d’une entreprise impossible), c’est donc, cette fois-ci, "un portrait de Led Zeppelin", titré tout simplement Rock’n roll. Le meilleur des trois peut-être… Celui dont le titre – limpide – s’affranchit, mine de rien, de la posture du biographe pour enfin se confronter au genre musical vénéré. Directement. Avec gourmandise. "Un portrait", donc, plutôt qu’"une biographie" : la nuance est d’importance.

Reprenant certains passages d’un prodigieux feuilleton radiophonique en 15 épisodes (Chiens noirs des seventies, diffusé sur France Culture en 2004), le voici qui narre, à sa manière toute personnelle, l’histoire de ces quatre musiciens, qui, très visiblement, le fascinent encore plus que les Stones et Dylan. Parce qu’avec Led Zeppelin, on est au cœur des choses, on ne parlera que de musique. Parce que Led Zeppelin, c’est trois musiciens et un chanteur, qui, chacun – malgré des emprunts flagrants – ont tout inventé de leur art (un son de guitare, un jeu de basse qui n’est plus simple accompagnement, une approche de la batterie totalement inédite dans le rock, une façon de placer la voix comme un instrument de plus). Parce que Led Zeppelin, c’est d’abord un son, l’addition de quatre individualités incroyablement complémentaires, une alchimie unique. Du physique aussi, des postures, des attitudes et des corps (Bon excelle dans les descriptions des concerts). Alors, pour l'auteur, écrire sur Led Zeppelin, c’est se confronter directement aux musiciens, à la musique, à son histoire, au recyclage, au matériel, au travail du studio, à la sueur du live, bref à une incroyable machine de guerre rock’n’roll plutôt qu’à une époque, à des textes ou à un contexte politique (toujours en filigrane des ouvrages sur les Stones ou Dylan).

Led Zeppelin ? L’invention du hard rock, disait-on. François Bon envisage d’abord le groupe sous cet angle, fasciné par John Bonham – la pierre angulaire – par le mix de la batterie si particulier, si novateur alors. Dans les détails, dans la description des minutieuses recherches sonores de Jimmy Page, le livre est passionnant. Brut, comme la musique du quatuor. L’écriture à l’avenant. Trépidante. Cinglante. Nerveuse. Orale. Précise. Il s’agit moins d’enquêter, de faire le tri, de confronter les centaines d’écrits publiés (comme ce fut le cas pour le travail accompli autour de Dylan) que de transcrire par la langue, dans un débit incroyablement rythmé, un amour vibrant, débordant, palpable, pour le groupe-phare des seventies, celui qu'il vit à 22 ans à Earl's Court à Londres. Exercice d’admiration et beau précis musicologique, Rock’n roll, un portrait de Led Zeppelin n’est pas une simple biographie, c’est – comme toujours chez Bon – une évocation à la première personne, où derrière chaque fait, chaque anecdote, chaque setlist, chaque rumeur, se niche l’auteur quinquagénaire, contemporain adolescent de l’explosion du groupe.

Si François Bon, lorsqu’il cite Page, Plant, Jones ou Bonham prend soin de conserver les mots en anglais et de les traduire brillamment dans la foulée (ah ! les aphorismes de Bonham), c’est bien que la musicalité de la langue ne saurait être trahie, partie prenante de son projet littéraire.

À l’inverse, ne donner à lire les textes – finement analysés mais très approximativement traduits – des chansons de Bruce Springsteen qu'en français est une impardonnable faute de goût. Même dénué de sa "version originale", Bruce Frederick Springsteen, le gros livre de Hugues Barrière et Mikaël Ollivier, est pourtant captivant, prolongeant le travail des deux auteurs sur le chanteur du New Jersey (lire le remarquable essai de Barrière consacré à la chanson Born in the USA paru il y a deux ans). À la fois biographie définitive et parcours érudit dans les thématiques récurrentes d’une œuvre pléthorique, le principal mérite du livre fut de me donner l’envie de replonger dans une discographie dont j’avais délaissé ou sous-estimé d’emblée certaines parutions (il faut absolument redécouvrir le récent et discret Devil and Dust). Fourmillant de détails, d’informations méconnues, le livre est surtout venu prolonger le plaisir éprouvé lors d’un fabuleux concert parisien du début de l’été (lire ici). Dommage que l’écriture à quatre mains ne nous épargne pas un certain nombre de redites. On sent le livre trop vite paru, pas assez peaufiné, sacrifiant à une paradoxale lisibilité commerciale (les fameuses traductions des chansons) quand son contenu, pourtant, s’adresse bel et bien aux connaisseurs.

On conclura simplement en disant que si Hugues Barrière et Mikaël Ollivier sont de bons journalistes et surtout de vrais fans, François Bon est, lui, un écrivain. Et un fan aussi. Deux biographies, alors ? Oui. Mais deux approches totalement opposées, l’une purement littéraire, incroyablement stimulante, l’autre plus journalistique, plus sémiologique. Bruce Frederick Springsteen fut un bon bouquin pour l'été. Mais Rock'n roll nous accompagnera longtemps. Led Zeppelin : 1 / Bruce Springsteen : 0.

 

 

François Bon, Rock'n roll, un portrait de Led Zeppelin (Albin Michel)

Hugues Barrière & Mikaël Ollivier, Bruce Frederick Springsteen (Le Castor Astral)

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D
Oui, c'est vrai. Tu donnes envie. Et avoir envie de lire un bouquin sur Led Zep, c'était pas gagné pour moi. Non que j'ai quelque chose contre, du tout... Simplement mes goûts vont spontanément ailleurs... Aussi, le jour où je voudrais m'y pencher : je commencerai avec ce livre.
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A
très léger bémol, je n'ai pas de raison de douter de sa générosité, mais changer de set list  tout le temps, c'est aussi ce que font pas mal d'artistes, connus ou inconnus, parce que sinon ils ont peur de s'ennuyer.dans les 2 cas c'est un plaisir pour le public :-)
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S
Eh bien, bonne lecture, Pyrox ! L'avantage avec Led Zeppelin, c'est qu'il y a moins d'albums à écouter que pour les Stones ou Dylan (moins de déchet aussi, du coup). Merci Arbobo. Le livre sur Springsteen est dispensable, hormis pour les fans, pour qui ce livre est une vraie mine d'informations. On y apprend par exemple - et je ne m'en suis toujours pas remis - que sur une tournée de plusieurs mois le E Street Band répète (et joue) environ 120 chansons différentes, en interprétant environ 25 par concert, mais ne cessant, d'un jour à l'autre, de changer les setlists, de répondre aussi aux demandes des fans des premiers rangs (désormais souvent munis de pancartes avec le titre qu'ils veulent entendre). Toute la générosité de Springsteen est dans ce genre de détail. Par contre le livre de François Bon, je le conseille tout simplement à tous les amateurs de littérature et de rock'n'roll...
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A
ohla toutes ces lectures en retard :-)tu sais donner envie en tout cas
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P
ca y est, j'ai acheté le françois bon hier. si ca se passe comme pour dylan et les stones, je vais pas tarder a me jeter sur la disco/videographie de led zep...après avoir lu qq pages, ca a l'air bien captivant en tout casmerci de la pub, ska
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