Quelques-uns, assurément, ne se trouvaient pas là par hasard. Je les reconnus très vite. Eux, déjà, ne portaient pas de tee-shirts barrés de la croix de Justice. Eux étaient plutôt du genre à connaître les moindres incantations d’obscurs morceaux "noise" enregistrés il y a quinze ans, à se poster au devant de la scène bien avant l’entame du concert. Surtout, ils avaient fait du rocker le plus sexy de l’univers leur seul et unique prophète. Et ils espéraient bien convertir quiconque les accompagnerait (même s’ils étaient le plus souvent venus seuls).
Ainsi, quand le gros de la foule venait surtout prendre la température d’une diva trash qui ne se présenterait finalement pas à la meute voyeuse en mal de dope’n’roll attitude, une poignée de vieux trentenaires s’étaient surtout déplacés à Saint-Cloud pour prendre des nouvelles d’un trio explosif que l’on croyait désormais aphone.
Jon, Judah, Russell. Trois ans qu’ils n’avaient pas joué ensemble. Et depuis ce temps, pour chacun, des projets parallèles que l’on croyait synonymes de brouille, un ultime album multipliant producteurs et invités comme pour avouer une panne d’inspiration, la récente sortie d’un disque bricolé à partir de faces B et d’inédits pour souffler la mèche d’une fureur électrique ayant brûlé plus de quinze ans. Et puis, surtout, on avait revu Jon Spencer l’été dernier à la Fondation Cartier avec Heavy Trash, trouvant dans ce "side-project" rockabilly un regain de vigueur manifeste. Alors, on s’était fait une raison, il fallait s’y résoudre. Le Blues Explosion, c’était les années 90, et celles-ci appartenaient bel et bien au passé…
Et puis, dans le courant du printemps, quand on n’attendait plus rien des géniteurs d’Acme, on apprenait qu’ils étaient programmés à Rock en Seine pour un concert unique. Au beau milieu de l’après-midi, en plein soleil : un bien étrange horaire pour un groupe plutôt habitué à jouer dans des salles jadis enfumées, bien à l’ombre de la hype. En fait, pour ces trois rockers américains et pour quelques dizaines de fans transis d’admiration, il était là le vrai événement du festival. Pas sur la grande scène à 22h, mais bien sur cette scène de la cascade illuminée par un soleil radieux.
Pour Jon Spencer et son gang, il s’agissait de rejouer ensemble pour essayer, pour voir. Rien à vendre, pas d’enjeu. Juste retrouver l’envie – peut-être – et renvoyer les usurpateurs à leurs études de solfège.
Chemise en soie bleue marine bientôt trempée, futal en cuir moulant, sex-appeal au beau fixe et feulements aux lèvres, Jon Spencer, pas loin de 50 ans, nous fit encore fantasmer le duo qu’il enregistrera peut-être un jour avec P.J. Harvey... Polly Jean et Jon, le couple rock’n’roll idéal, même si nous fûmes, avec les étincelles provoquées par Jon Spencer et Christina Martinez dans le groupe Boss Hog, copieusement servis par le passé en décharges érotico-soniques.
Alternant morceaux déstructurés, déflagrations de six-cordes, riffs entêtants et chansons rock aux constructions plus conventionnelles (histoire de souffler un peu), le set du Blues Explosion laissa exsangues les quelques inconditionnels présents à l’appel et gonfla probablement plus que de raison les amateurs de soul papier peint égarés là avant l’Amy qu’ils attendaient tant.
"That’s the sweat of the Blues Explosion !". La sueur versée vendredi dernier préfigurait-elle un retour au premier plan ? Peu probable. Car le groupe, s’il fut une figure de proue de l’indie rock des années 90, paraît, avouons-le, un rien anachronique dans le cadre d’un festival aussi "mainstream" que Rock en Seine. Trop arty, trop complexe, trop bruyant, trop intello. Si Jon Spencer et Russell Simins ne ménageaient pas leurs efforts, Judah Bauer, sobre et efficace, le bouc blanchi par les années, ne semblait pas totalement dupe, pas encore complètement là, peut-être même un peu las. Bref, si tant est qu’une suite soit donnée à ce concert, on n’est pas près de voir le Blues Explosion remplacer Kaiser Chiefs sur la grande scène de Rock en Seine. Et, franchement, on ne s’en plaindra pas.