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D'un Frankenweenie l'autre (Vintage Burton)

frankenweenie-tim-burton 4dtyd 1ts0j8La sortie en DVD et Blu-ray du réjouissant Frankenweenie de Tim Burton le 1er mars nous donne l’occasion de revenir à la fois sur ce long métrage et sur le court (opportunément proposé en bonus) qui l’a inspiré. L’occasion aussi, pour nous, de nous réconcilier – un temps, du moins – avec un cinéaste que l’on avait tant aimé… il y a trop longtemps…

 

 

On fait partie de ceux (à quarante ans, ce n’est pas très original) dont la cinéphilie s’est affirmée avec les premiers films de Tim Burton, de ceux aussi qui, depuis quinze ans (depuis Sleepy Hollow, précisément), déplorent la pente inexorable sur laquelle s’est engagé son cinéma. On peut ainsi avoir été durablement marqué par Edward aux mains d’argent, par les deux Batman, par Ed Wood ou par Mars Attacks ! et ne pas aimer ce que Tim Burton est devenu : une marque, un logo, le pourvoyeur d’un “univers” en kit, copié, vampirisé, singé et dénué désormais de tout ce qui, de 1982 à 1996, fit son charme et son indéniable originalité.


Pourtant, ces deux dernières années, les choses parurent commencer à changer. Il y eut cette exposition qui fit escale l’an dernier à la Cinémathèque française et qui révéla, dans les creux des films (devenus comme accessoires), l’activité créatrice forcenée (maladive ?) d’un cinéaste/dessinateur qu’on commençait à tort à ne plus imaginer qu’en cynique entrepreneur de son propre imaginaire. Expo au succès fantastique qui, à Paris du moins, mit aussi en lumière le statut absolument inédit de Burton pour un cinéaste : celui d’une véritable rock-star, adulée, attendue, vénérée, provoquant file d’attente monstrueuse et mini-émeute pour une séance de dédicaces. Chose absolument incompréhensible, anachronique, quand on prend conscience que la plupart des fans actuels de Burton n’étaient même pas nés lorsque sortit Beetlejuice, mais chose plutôt rassurante en ce qu’elle confirme que ses œuvres les plus belles perdurent dans le temps. Incompréhension, surtout, car on n’imagine pas que l’on puisse tomber amoureux du cinéma de Tim Burton après avoir vu, mettons, Charlie et la chocolaterie, Les noces funèbres ou Alice au pays des merveilles. Mais qui sait...


Et puis il y eut Dark Shadows en mai 2012 et l’espoir fou, quand on en découvrit la bande-annonce, de voir le cinéaste renouer avec la verve bouffonne et goguenarde de ses deux premiers longs métrages (Pee Wee Big Adventure et Beetlejuice). On déchanta vite, malgré le retour de Michelle Pfeiffer (sa Catwoman, notre Selina Kyles) devant son objectif. La faute à un scénario paresseux et prévisible, la faute à un gâchis de seconds rôles sous-écrits. Pourtant, si Dark Shadows était décevant, on préférait mille fois voir Burton et Johnny Depp (plutôt sobre cette fois-ci) lorgner de ce côté-là du fantastique plutôt que les voir s’aventurer, sous contrat, “de l’autre côté du miroir” (Alice au pays des merveilles, 2010). D’autant plus que, dans la foulée, le cinéaste peaufinait la version longue d’un court métrage qu’il réalisa, pour Disney, en 1984, Frankenweenie donc. Son deuxième chef-d’œuvre, rien de moins, après le bref mais si sublime Vincent (ici). Quelque chose se tramait, semblait-il. Et quitte à recycler, perçait l’envie de revenir aux bases, aux vraies. Si la perspective de refaire en animation en volumes (et en 3D) un film en prises de vues réelles nous laissait quand même circonspect, le casting de voix annoncé – de Winona Ryder à Martin Landau, en passant par Martin Short et Catherine O’Hara – confirmait à quel point, au-delà du projet-même d’un remake pressenti inutile, le cinéaste entendait renouer avec des comédiens associés à la période la plus enthousiasmante de sa carrière.


frankenweenie_2012-2.jpgDe fait, Frankenweenie 2012, c’est du Burton tout craché (comme presque toujours, donc), mais avec, enfin, quelque chose en plus, qu’on croyait perdu à jamais : la croyance, la grâce, le plaisir. Et au rayon habituel des références attendues, le bonheur d’en jouer plutôt que d’illustrer une énième fois son petit livre d’images gothiques avec application. En cela, Frankenweenie 2012 est un film affolant de santé, de vivacité, d’humour et d’invention visuelle quand le délétère Sleepy Hollow ressemblait, il y a quinze ans déjà, à une collection de fétiches, de figures, de masques et de scènes à faire. Confronter les sentiments ressentis à la vision des deux films, ce serait un peu, pour résumer, comme comparer la visite d’une fête foraine à celle d’un musée de cire. Cela peut sembler paradoxal quand l’enjeu de départ de Frankenweenie est la réanimation d’un corps mort (rappelons que les deux Frankenweenie sont des variations sur les Frankenstein de James Whale) mais, non content de donner vie à ses pantins par le truchement de l’animation image par image, Frankenweenie 2012 met aussi en abime une carrière inégale et redonne littéralement vie au cinéma sclérosé de Tim Burton. Il fallait donc en passer par là, par le retour à une histoire imaginée trente ans plus tôt et qui lui valut – pour le meilleur – d’être renvoyé de Disney ; ce studio qui a pourtant, mesurant ses erreurs passées, produit ses derniers films...


Si on ne voyait pas vraiment, a priori, en quoi le Frankenweenie de 1984 pouvait être amélioré, on redoutait surtout que le passage du temps et le recours à l’animation édulcorent le propos d’un court métrage trempant habilement dans la noirceur et l’expressionnisme la douce ambiance banlieusarde des mémorables productions Amblin de l’époque (E.T., Gremlins, Les Goonies, etc.). Il n’en est rien, heureusement, Burton réussissant même, après une première partie relativement fidèle à l’original, à justifier, sans le moindre effort et le plus naturellement du monde, son choix de l’animation. C’est le dernier mouvement du film, sa gigantesque foire au monstres, qui permet au Frankenweenie de 2012 d’exister à côté de celui de 1984, d’avoir sa propre nécessité. Loin de s’annuler, les deux films se complètent. Et si l’on peut écrire que (presque) tout Burton figurait déjà dans le court métrage (du voisinage inquisiteur au rejet du monstre qui ne veut qu’être aimé en passant par l’imagerie gothique), ce nouveau long, s’il n’apporte rien de fondamentalement neuf, n’enlève rien à l’œuvre du cinéaste. Cela faisait bien longtemps que ce n’était pas arrivé. Après tant de films en roue libre, le Burton de Frankenweenie paraît raccord avec celui, affable et souriant, qui décernait une Palme d’or inattendue à Oncle Boonmee en 2010. Pour un temps, pour un film, pour une fois, le cinéaste semble avoir su composer avec sa réputation encombrante, avec son univers devenu étouffant, avec ce qu’on attend de lui et ce que lui a envie de faire.


Reste que cela n’est peut-être qu’illusion, tant, à une telle échelle, on ne sait, pour un film d’animation ainsi manufacturé, où se situe le cinéaste, le directeur d’acteurs, ce qu’il y fait vraiment, ce qu’on lui doit. C’est là, sans doute, la vraie différence entre les deux versions de Frankenweenie. En 1984, c’était le film d’un jeune réalisateur ayant tout à prouver, en 2012, celui d’un cinéaste rentier qui ne veut plus décevoir. Après tout, on s’en fiche, on a envie d’y croire, de voir le cinéaste ressuscité là où peut-être il n’est plus. Et d’attendre à nouveau, tout de même, de bons films de sa part.

 

Stéphane Kahn

 

Tim Burton, Frankenweenie, Disney DVD, disponible en Blu-ray 3D, Blu-ray et DVD à partir du 1er mars.

 

 

 

Texte initialement publié sur le site de Bref, le magazine du court métrage : http://brefmagazine.com/

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O
Frankenwenie is a very different type of movie and i must say i might have watched the same movie like a few couple of times. This is very interesting indeed. A dog being resurrected with the power of lightning.
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S
<br /> Oui, j'ai lu il y a longtemps ces entretiens, mais dans leur version anglaise et avant Sleepy Hollow. J'avais trouvé ça passionnant, déjà. Ils ont été, depuis, considérablement enrichis. Je n'ai<br /> pas lu la traduction française.<br />
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X
<br /> sur Big Fish, le fait que Burton ait personnellement connu la situation du personnage principal (à savoir la maladie de son père) a surement contribué à la réussite des scènes réalistes, qui sont<br /> effectivement très bonnes. Le mélange réél/féérique est mon thème favori au cinéma (d'où mon attachement à Burton) et il est très bien développé dans Big fish.<br /> <br /> <br /> As tu lu le livre d'entretiens avec Mark Salisbury? j'y ai appris plein de trucs sur Burton, mais plus encore sur l'industrie du cinéma avec laquelle il est obligé de composer. ces scénarios<br /> perpétuellement en chantier, qui passent de main en main, abandonnés ou soudainement remis au gout du jour... les divers recrutements, la communication, tout ce qui fait que le travail de<br /> réalisateur tel qu'on l'imagine n'est en fait qu'une partie parmi d'autre du métier... Seul regret, le livre s'arrete avant Alice au Pays des Merveilles, j'aurai bien aimé en savoir plus sur les<br /> motivations de Burton, les tenants et aboutissants etc... (pour ma part j'ai plutot aimé le film, a priori on est pas nombreux...)<br />
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S
<br /> En fait, Xavier, j'avais beaucoup aimé Big Fish (dix ans déjà !). Je l'avais vu deux fois en salle. C'est un peu l'exception. D'autant plus qu'il venait après une<br /> énormes déception : La planète des singes. Il me semblait que le cinéma de Burton s'y renouvelait grâce à toutes les scènes réalistes, un peu mélo, avec le père. Sentiment qu'il essayait<br /> alors quelque chose à quoi il ne s'était pas encore confronté. La suite ne l'a pas confirmé, Burton se repliant vers un imaginaire balisé (sa "marque de fabrique"). Cet aspect typiquement<br /> "burtonien" était évidemment dans Big Fish, encore, dans les histoires racontées, mais cela était contrebalancé par les scènes réalistes et l'univers du cinéaste s'en trouvait renforcé,<br /> réellement mis en valeur. Comme si le film était plus sincère que Sleepy Hollow qui, s'il est agréable, ressemble selon moi à un livre d'images gothiques un peu trop scolaire. Je n'ai<br /> pas revu Big Fish, je ne sais pas si j'en penserai toujours la même chose aujourd'hui. Par contre, j'ai entre-temps lu le livre dont le film est adapté et l'ai trouvé assez mauvais.<br />
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X
<br /> J'ai peu de culture cinématographique, mais j'aime beaucoup Tim Burton (n'ayant quasiment aucun temps à accorder au ciné, il fait partie des réalisateurs / acteurs que j'ai "sélectionné" pour<br /> suivre leur carrière). j'ai donc une fois de plus loupé ce film, mais j'investirai dans le dvd, d'autant plus après avoir lu ta chronique (et d'autant plus si le premier court métrage figure en<br /> bonus).<br /> <br /> <br /> tu ne parles pas de Big Fish dans la liste des films marquant selon toi la perte d'inspiration de Burton. Qu'en penses tu? pour ma part c'est l'un de mes films préférés...<br />
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