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20 janvier 2007 6 20 /01 /janvier /2007 18:42

« Le vidéo-clip peut aussi être une finalité »

(cet entretien avec Michel Gondry fut initialement publié dans Bref, le magazine du court métrage en janvier 2004)

 

On parle souvent du vidéo-clip de manière dépréciative, comme d’un travail de commande dont la finalité serait de faire vendre des disques et d’alimenter les chaînes musicales. De nombreux exemples prouvent que les choses ne sont pas si simples. Comment composez-vous avec cette dimension intrinsèquement commerciale de votre travail ?

Il y a dans toute forme d’expression des personnes qui font du travail de recherche et des gens qui cherchent à se faire valoir. Pour ma part, j’essaye de faire de la recherche, mais il est vrai que le clip demeure lié à l’industrie. Cela dit, je ne tourne pas forcément des clips coûtant très chers…

Comment choisissez-vous de travailler avec tel ou tel artiste ?

Souvent, j’écoute ce qu’on m’envoie. La chanson me plait et correspond à l’envie de faire quelque chose à cette période-là. Ensuite, la rencontre est déterminante. En espérant que la maison de disque ne mette pas trop d’obstacles. C’est le problème dans le hip hop : ils ont des artistes fantastiques comme Missy Elliott, mais ils sont très difficiles à approcher, il y a tout un entourage…

Pour la conception du clip, y a-t-il une réelle collaboration avec les musiciens ?

Ça dépend. Beck, par exemple, n’avait aucune idée. Björk, elle, en avait plein. Le clip pour les Foo Fighters, c’était vraiment mon idée, mais elle s’est paradoxalement trouvée enrichie par diverses contraintes liées au fait que Dave Grohl ne voulait pas que je le filme au lit avec une autre fille que sa copine… Généralement, plus le contact est bon avec l’artiste, plus on pourra aller loin dans le clip. Avec des gens comme Dave Grohl, Beck ou Björk, on s’est vu, on s’est parlé et l’on s’est découvert pas mal de points communs. J’ai tourné un clip avec Lenny Kravitz que je regrette parce que je n’aime pas du tout sa musique et parce qu’avec lui tout partait de l’image projetée pour impressionner les gens. Quand je rencontre quelqu’un, j’essaye au contraire de me dire que c’est mon cousin, mon frère, qu’on a les mêmes problèmes. Je tente de voir ce qu’il a à l’intérieur, de trouver ce qui correspond à ce que moi je porte.  Et, sur cette base, je peux créer un univers qui me reflète et qui le reflète. C’est aussi pour cela que j’ai des problèmes avec la publicité. Dans la pub, si on va tourner au Japon c’est pour pointer à quel point ce pays est différent de la France. On va donc mettre en avant tous les stéréotypes. Quand je tourne une publicité au Japon, je veux plutôt montrer ce qu’il y a en commun entre les gens qui habitent là-bas et ceux qui vivent en France. Et ça, ça ne marche pas trop avec la publicité où l’on aime bien catégoriser, mettre des étiquettes…

Avez-vous une méfiance par rapport à des artistes qui, d’emblée, véhiculent une image très forte ? Comment, par exemple, avez-vous envisagé le clip pour les Rolling Stones ?

En tant que réalisateur, on ne peut pas dire non à un clip des Stones ! Il y a aussi le fait d’approcher quelqu’un qui a inventé le médium qu’il utilise. J’ai vu, il y a peu, un concert de James Brown. C’était incroyable ! Je voyais la personne ayant inventé cette musique... Lenny Kravitz, lui, n’a pas inventé sa musique, il reproduit…

Pourtant, vous avez réalisé trois clips pour les White Stripes ? On peut aussi dire qu’ils n’ont pas inventé le type de musique qu’ils jouent…

Je ne suis pas complètement d’accord car ils déstructurent cette musique. Et du fait qu’ils jouent juste avec deux instruments et qu’ils s’y tiennent, il y a une réelle réinvention. Les Strokes m’intéressent moins, il y a chez eux plus d’attitude que d’invention…

La question de savoir si vous allez filmer l’interprète en train de chanter, en train de faire son boulot en quelque sorte, se pose-t-elle ? Voyez-vous cela comme une sorte de lieu commun nécessaire du vidéo-clip ?

Oui, c’est une contrainte, mais j’ai toujours essayé de l’éviter. Je déteste les clips où l’on voit l’artiste faisant sa performance sur fond noir et où l’on enchaîne sur une histoire qui n’a aucun rapport. L’archétype de ça, ce sont ceux d’Aerosmith avec Alicia Siverstone ou Liv Tyler… Pour moi, le groupe doit être le centre du clip. Sinon, on ne le voit pas, on triche. Dans le clip des Stones, j’ai aussi flirté avec ça, mais ils sont quand même présents dans cette fête décadente dont les images montrent bien qui ils sont. Récemment, Mick Jagger m’a sollicité pour un autre clip. C’était une histoire d’amour, une histoire d’adolescents, et il a plus de 50 ans ! Je n’avais pas envie de faire un clip dans lequel il chante et où l’on voit ensuite un autre couple. Je ne supporte pas qu’on prenne l’artiste comme faire-valoir pour d’autres idées. Si on se dit qu’on fait un clip pour untel il faut l’assumer. Par rapport à la performance, la question se pose dès qu’on se demande si le chanteur va regarder la caméra. Dans les comédies musicales, les gens ne regardent pas l’objectif. Ils sont dans un film, ils parlent entre eux. Dans le clip, c’est une décision qu’il faut toujours prendre en début de tournage parce qu’on ne peut pas vraiment faire les deux.

Dans The Hardest Button to Button, vous filmez la performance musicale sans pour autant renier vos recherches formelles…

Comme les White Stripes déconstruisent la musique pour la reconstruire à leur manière, j’ai décidé de reconstruire leur performance. Dead Leaves and the Dirty Ground, le clip que j’avais réalisé pour eux juste avant, était narratif. Il leur a plu, mais je le trouvais un peu mou. Je venais de les voir sur scène et j’avais envie de faire quelque chose où on les voit jouer. Il y avait dans ce morceau une structure très géométrique. On a donc acheté 32 batteries identiques, on les a disposées dans le paysage en fonction de ce qu’on entendait. Après, il s’agissait de décliner toutes les formes géométriques possibles par rapport au rythme et aux éléments de la batterie utilisés. Il y avait aussi cette pochette des Pink Floyd où ils ont étalé tout leur matériel qui m’était restée en tête…

Avez-vous ressenti une évolution avec l’arrivée de la musique électronique ? Le fait de s’affranchir de la présence du chanteur permet-il une plus grande liberté ?

Oui, complètement. On peut avoir un projet purement filmique dans le sens où l’on peut vraiment aller vers l’abstraction. Les clips que j’ai réalisés sur ces musiques étaient encore plus basés sur le rythme, comme des illustrations. Ce qui est amusant, c’est qu’après Around the World pour Daft Punk, Björk voulait que je lui fasse un clip avec une chorégraphie. Mais je n’ai pas réussi à trouver le bon angle parce qu’elle était au centre du clip : elle chantait et je ne pouvais pas m’affranchir de ça. Je n’avais pas cette structure mathématique très rigoureuse qu’on trouve dans Around the World et qui m’a servi de support. Il y a tellement d’éléments répétitifs dans la musique électronique que les musiciens sont obligés de trouver un équilibre. Sans cet équilibre, il n’y a plus rien. Les compositions sont très rigoureuses, ce qui me sert énormément pour construire la vidéo.

Quel est votre rapport à la chorégraphie ? Est-ce une contrainte, un autre lieu commun que vous allez détourner pour jouer avec ?

J’ai toujours beaucoup aimé les chorégraphies. Mais la danse dans les clips c’est un mensonge. Une chorégraphie se voit comme un opéra, en un plan large. On ne regarde pas une chorégraphie pour voir le visage du danseur, ses expressions. Je pense que notre perception a été déformée avec Bob Fosse qui était un chorégraphe sublime mais qui est parti dans le côté sexuel, viscéral, alors que pour moi la danse au cinéma c’était plutôt Busby Berkeley… Le travail de chorégraphes contemporains est passionnant : c’est de l’architecture en mouvement, on construit des formes avec des corps humains, on les fait évoluer… Je n’aime pas les choses où l’on sort ses tripes. Je n’ai pas envie d’être exposé à tout un flot d’émotions. Je préfère que l’émotion vienne de moi, quand je suis devant quelque chose qui est complètement unique et dont je suis le témoin. Donc, les clips à la Janet Jackson ou à la Paula Abdul ne m’intéressent pas, il y a trop de gros plans et un montage trop rapide. Pour ma part, je souhaitais ouvrir le cadre et filmer des chorégraphies qui, comme celle pour Daft Punk, fonctionnaient en un seul plan. J’ai travaillé avec Blanca Li et ça m’a passionné. J’ai vraiment envie de filmer d’autres chorégraphies.

Le clip de Let Forever be des Chemical Brothers donne pourtant l’impression d’être très découpé…

C’était encore différent. La chorégraphie était là pour illustrer un effet un peu « années 80 » de multiplication visuelle. Ma motivation était vraiment de faire des effets vidéo en chorégraphie. Il y a même des détails qu’on ne voit pas. Par exemple, en vidéo, quand on fait une incrustation sur des fonds bleus, cela produit souvent un petit liseré. Alors, dans la partie dansée, on a repris ce liseré avec des guirlandes qu’on mettait autour des danseurs…

Des clips comme Everlong, Knives Out ou Let Forever Be jouent de manière explicite sur le rapport entre rêve et réalité…

Cela m’intéresse beaucoup de savoir comment on construit des successions d’images, pourquoi on sélectionne une image de la réalité plutôt qu’une autre pour la replacer dans le rêve… L’étude des rêves est, selon moi, beaucoup plus intéressante à travers la neurobiologie qu’à travers les symboles. Cela dit, il y a des choses vraiment drôles dans les rêves. Si, en regardant telle image, je fais une association avec un autre souvenir, ça va reconnecter d’anciennes connexions qui vont s’activer dans le rêve. Ça ne donne pas toutes les réponses, mais ça me passionne. C’est du domaine de l’écriture automatique, du collage et de ce que j’aime dans le surréalisme.

Bien qu’étant passé au long métrage avec Human Nature, vous continuez de réaliser des clips. On a le sentiment que c’est une activité que vous abordez par goût, qu’il n’y a pas dans votre travail de séparation tranchée entre la réalisation de clips et celle de longs métrages. Contrairement à ce qui se passe souvent en France après les courts métrages, le passage au long ne semble pas être pour vous une finalité.

Je suis d’accord. Les clips et les courts métrages sont effectivement des moyens d’apprendre, mais le vidéo-clip peut aussi être une finalité. L’idéal pour moi ce serait de tourner un long de la même manière que mes clips. On dit souvent « Un long métrage, ce n’est pas un clip de deux heures, il faut raconter une histoire ». Mais je raconte une histoire dans tous mes clips ! On y trouve toujours un début, un développement, une fin, même s’il est vrai qu’on n’obtient pas le même résultat avec trois minutes ou avec une heure et demie. Il existe une sorte d’inertie dans le cinéma qui fait qu’on n’a pas le droit de faire les choses d’une manière différente. Soit on fait un film intellectuel, psychologique, et ça ne doit pas être visuel. Soit il s’agit d’un film visuel et commercial qui doit répondre à toutes les normes, avec des personnages qui évoluent, qui apprennent et qui sont transformés à la fin du film. Je pense qu’il y a autre chose que ces deux possibilités, et c’est ce que je vais essayer de faire pour mon prochain film.

Propos recueillis le 27 novembre 2003

http://www.brefmagazine.com/

Michel Gondry, sur 7and7is, c'est également ici,  et là-bas...

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19 janvier 2007 5 19 /01 /janvier /2007 00:59

(ce texte fut initialement publié dans Bref, le magazine du court métrage en janvier 2004)

De la musique au cinéma :

les mises en abyme de Michel Gondry

 

Peut-on parler d’une œuvre à propos d’un réalisateur de vidéo-clips ? Tourner un clip, après tout, n’est-ce pas mettre ses compétences techniques au service de l’artiste qui a enregistré la musique que l’on va filmer ? Du coup, sans doute faut-il être patient pour mesurer l’importance d’une œuvre se construisant au fil de commandes et de rencontres, tant il est vrai que le vidéo-clip demeure une forme volontiers anonyme. Très vite, pourtant, le travail de Michel Gondry a été repéré, commenté et disséqué. L’étudiant en graphisme qui avait débuté comme batteur au sein du groupe Oui Oui, pour rapidement en privilégier l’univers visuel, est devenu dans les années 90 l’un des réalisateurs de clips les plus courtisés de la planète. Après quelques vidéos inventives pour Oui Oui, c’est le vidéo-clip de La ville qui va attirer l’attention de la chanteuse islandaise, Björk. C’est le début, avec Human Behaviour, d’une collaboration qui se poursuivra autour de cinq autres chansons.

 

Naïveté formelle

Dès Human Behaviour, dont Gondry reconnaît qu’il a été influencé à la fois par Le hérisson dans le brouillard de Iouri Norstein et par un documentaire sur les taupes, son univers se dessine. Dans ce clip impressionnant, le réalisateur crée un monde onirique empruntant aux contes, à l’enfance, et privilégie l’enchantement généré par des images naïves et bricolées à l’emploi d’effets spéciaux de pointe. Cette naïveté formelle qui, loin d’être exclusive, se combinera plus tard avec la technologie, demeurera pourtant une constante. On la retrouvera dans le goût de Gondry pour les miniatures, les masques et les déguisements, mais aussi dans la récurrence de trucages un rien désuets : les surimpressions évoquant le cinéma muet ou les films de Guy Maddin dans Isobel ou Hyperballad ; le film défilant à l’envers dans Sugar Water, Deadweight ou le bien nommé A l’envers, l’endroit. On pourra aussi, dans le même ordre d’idées, songer à cette constante recherche de la performance (le plan séquence comme obsession ?) qui laisse de côté l’artillerie numérique des sociétés d’effets spéciaux pour lui préférer l’enchantement de la prouesse réalisée devant la caméra. Chez Gondry, l’image sera donc physique, organique, on pourra la triturer, l’inverser, l’étirer (Like a Rollling Stone). Si elle n’est plus simplement cette surface plane, pourquoi, alors, se priver de jouer avec ?

 

Du merveilleux

On demande souvent aux amateurs de rock s’ils sont « Beatles ou Stones ». En matière de cinéma, cette question idiote pourrait se formuler ainsi : « Méliès ou Lumière ? ». Grand amateur des tours de magie de Gérard Majax dans son enfance, Gondry semble évidemment privilégier l’approche du réalisateur du Voyage dans la Lune. De Human Behaviour à Let Forever Be en passant par Everlong, la plupart de ses clips s’aventurent sur les chemins du rêve et du surréalisme. Rares sont ceux s’inscrivant, comme À l’envers à l’endroit, dans un environnement réaliste. Ou alors, comme c’est le cas dans celui, inépuisable, qu’il a réalisé pour Kylie Minogue, il s’agira d’un cadre anodin (ici, une rue parisienne) gagné par la folie, la ritournelle mécanique de la chanteuse trouvant un écho dans des images qui se répètent en boucle : à chaque nouveau couplet, les habitants se dédoublent, deviennent triples puis quadruples. Le résultat, c’est l’un des plus beaux films burlesques de ces dernières années et c’est surtout pour le (télé)spectateur la possibilité de revoir ce film incroyablement ludique plusieurs fois, en trouvant toujours dans les recoins du cadre des surprises étonnantes.

Le cinéma mis en abîme

Un réalisateur de vidéo-clips fait-il du cinéma ? Oui, si l’on prend en compte le format de tournage (du 35 mm, souvent). Non, si l’on s’attache au support de diffusion. Devant ce paradoxe, Gondry aura tenté de trouver une réponse en sortant du petit cadre télévisuel du clip avec La lettre en 1998 puis avec Human Nature, son premier long métrage, en 2001. S’agit-il pour autant de ces films les plus cinématographiques ?

Rappelons que le cinéma est, depuis le début, omniprésent dans les clips de Gondry. En tant qu’influence, bien sûr, mais aussi en tant que forme. Outre cette figure du défilement de la pellicule que l’on peut deviner dans les trains de Bachelorette, Knives Out ou Star Guitar – ce qui nous ramène finalement aux frères Lumière ! – on remarque vite que de nombreux motifs liés au septième art réapparaissent au gré de clips pourtant très différents. Ce sont, par exemple, les surcadrages fréquents (écrans, fenêtres, etc.) qui ne cessent de nous renvoyer notre regard de spectateur. C’est aussi le choix de montrer l’envers du décor, le tournage d’un film dans Lucas with the Lid off, ce clip pouvant d’ailleurs être vu comme la matrice de tous ceux dont la mise en scène reposera sur l’exécution parfaite d’un  plan séquence (Protection, Sugar Water, Knives Out). Plus simplement, on retrouvera le cinéma comme technique avec la projection argentique servant, dans Dead Leaves and the Dirty Ground, à marquer dans un même lieu deux temporalités différentes (Jack White rentre dans son appartement dévasté, sa copine est partie, l’explication de ce qui s’est passé durant son absence se trouvant littéralement projetée sur les murs).

De la même manière, on peut très bien imaginer que la place attribuée au rêve et à ses déclinaisons renvoie à la projection, à cet état de demi-sommeil dans lequel nous plonge le visionnage d’un film. C’est évident quand, à la fin de Deadweight, Beck se retrouve dans une salle de cinéma pour assister au spectacle que nous venons de voir (un peu comme dans L’antre de la folie de Carpenter), mais le meilleur exemple de ce rapport entre le rêve, le cinéma et la réalité se trouve sans doute dans le clip de Let Forever be. Ici, le glissement imperceptible d’images tournées en vidéo à celles filmées en argentique signifie le basculement du réel au rêve. Le rêve, dans ce clip pour les Chemical Brothers, c’est le film, c’est la comédie musicale : une sorte d’univers coloré à la Broadway dont l’envers se trouve symbolisé, sur le plateau où évoluent les danseuses, par une mire de barres renvoyant justement au réel et à la vidéo.

Filmer la musique (1997 – 2003)

Il faut se souvenir, enfin, que Michel Gondry est à la base un musicien. Ancien batteur, les questions de tempo lui sont familières. Certains de ses clips s’appuient sur cette connaissance très précise de la musique qu’il doit filmer. Le plus connu, Around the World pour Daft Punk, proposait ainsi une chorégraphie délirante où chaque groupe de danseurs (certains déguisés en robots, d’autres en squelettes, etc.) symbolisaient les instruments utilisés au moment précis où ceux-ci se manifestaient. Le principe consistant à filmer littéralement ce qu’on entend sera repris pour Star Guitar où ce ne sont plus les danseurs mais des paysages entrevus à travers la fenêtre d’un train qui représentent les boucles entendues dans le morceau des Chemical Brothers. Le paysage se lit alors comme une partition, la subtilité du traitement visuel étant telle qu’il faut s’y reprendre à plusieurs fois pour comprendre la logique mathématique présidant à cette succession de paysages.

Dans son clip pour les White Stripes, The Hardest Button to Button, Gondry a choisi la même approche purement rythmique tout en réussissant à replacer au centre de l’image les musiciens. Une hypothèse nous vient alors à l’esprit : du règne de la musique électronique au pseudo retour du rock à guitares, Gondry serait aussi, au fil de ses clips, un observateur lucide des évolutions de la scène musicale actuelle. Avec The Hardest Button to Button, la boucle infernale lancée par les danseurs automates d’Around the World paraît bouclée : devant l’objectif de Gondry, les rockers ont remplacé les machines déshumanisées et ont su (pour un temps ?) regagner leur place au cœur du plan…

Au même moment, il est intéressant de noter que les Daft Punk ont à leur tour tenté l’aventure cinématographique. Dans Interstella 5555, Thomas Bangalter et Guy-Manuel De Homem-Christo, les deux musiciens invisibles de Daft Punk, sont partis chercher leurs doubles humanoïdes dans un rêve de celluloïd et dans les personnages dessinés par Leiji Matsumoto. Du vidéo-clip au cinéma (les premiers chapitres d’Interstella 5555 furent, rappelons-le, utilisés pour illustrer les singles de l’album Discovery), et au moment-même où Gondry entamait une collaboration fleuve avec les White Stripes, deux orfèvres de la musique synthétique se retrouvaient incarnés par les membres d’un groupe de rock fantasmatique jouant leurs morceaux dans Interstella 5555. Hasard des calendriers et du cheminement artistique des Daft Punk, cette humanisation de la musique électronique via la « japanimation », ce retour des musiciens et de leurs instruments sur le devant de la scène (et devant l’objectif) offrait soudain un pendant passionnant aux propositions avancées par Gondry pour filmer la musique. Comme si, six ans après Around the World et alors que des groupes comme les White Stripes écrivent de nouvelles pages de l’histoire du rock électrique, la musique électronique n’avait à son tour plus d’autre choix que d’en passer par l’incarnation.

S.K. (décembre 2003)

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9 janvier 2007 2 09 /01 /janvier /2007 21:45

Scream, interprété par Michael et Janet Jackson, est réputée pour être la vidéo au budget le plus important de l'histoire de la musique pop. Réalisé par le roi de l'esbrouffe Mark Romanek, celle-ci a en effet coûté, en 1995, la bagatelle de 7 millions de dollars. On peut éventuellement la voir ici. Mais aujourd'hui, pour ne pas encourager l'industrie du disque dans ces dépenses ridicules, on va plutôt regarder le clip le moins coûteux du monde. Et se rendre compte qu'un clip réussi n'est pas affaire d'argent (mais ça, on le savait déjà).

Réalisé par Jérôme Lefdup, le clip présenté ci-dessous interroge, mine de rien, le regard que l'on porte sur la musique filmée, les habitudes de téléspectateur que nous avons prises depuis les années 80 à force d'en visionner. Et c'est assez effrayant sur ce que ça révèle de notre conditionnement car il suffit de quelques mots sur des cartons s'enchaînant en rythme pour que les images évoquées s'incrustent dans nos têtes, tout comme la ritournelle entraînante qu'elles n'illustrent pas... L'idée de ce clip est extrêmement simple et on n'en revient pas que personne n'y ait pensé avant. Aussi malin que le clip ironique d'Alain Chamfort pour Les beaux yeux de Laure (à voir ici).

En convoquant, par les mots seulement, quelques stéréotypes de la forme clip, le réalisateur s'amuse et nous amuse, remettant même par défaut la mise en scène et la grammaire filmique la plus primitive (montage symbolique, découpage sommaire, etc.) au centre des (d)ébats. Et encore, ce dont je vous parle, ce n'est que la première minute du clip. Après, ça dérape et on se croirait dans un détournement de MTV orchestré par des Monty Pythons qui auraient trop regardé de cinéma des origines.

Et puis cette chanson - que je n'aurais pas écoutée en entier sans son pendant visuel - devient, après une ou deux écoutes complètement indissociable de la vidéo. Laquelle aime-t-on le plus des deux ? Impossible à déterminer.

Bon, évidemment, ce clip ne va pas révolutionner l'histoire du genre mais il n'est pas si anodin et si potache qu'il en a l'air. Finalement, un tel procédé ne peut marcher qu'une fois mais il s'accorde bien à la légèreté grivoise de la chanson de Fanny Lefdup.

Pour finir, la mise en ligne toute récente de ce clip a été signalée par Christophe sur quelques blogs musicaux fort intéressants que vous trouverez dans les liens ci-contre (Arbobo, Du bruit qui pense...). Erudit et drôle, le blog dudit Christophe, Pop Hits, le hit-parade chanté (http://pophits.over-blog.com/), vaut le détour pour qui veut en savoir un peu plus sur les grands succès de la variété française des années 70/80.

Trève de discours, place au tube hédoniste de l'été 2007...

 


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31 décembre 2006 7 31 /12 /décembre /2006 00:58

Alors voilà, Michel Polnareff a sorti un nouveau single. Et c’est une catastrophe qui ferait presque regretter son précédent délit, le sirupeux Je rêve d’un monde en 1998. Tant d’années d’attente et les rumeurs sur son perfectionnisme l’empêchant de livrer un nouvel album pour en arriver à cette chanson atroce…

Déjà que la Star Academy avait, ces derniers mois, dénaturé ses chansons les plus belles et ressorti ses pires daubes. Heureusement que les places pour Bercy étaient toutes vendues avant le démarrage de la nouvelle saison de l’émission : ça évitera les malentendus. Encore que… TF1 sponsorisant les concerts, on n’est pas à l’abri de l’irruption sur scène d’un(e) recalé(e) de la télé-réalité…

Mais revenons à cette nouveauté au titre hideux : Ophélie Flagrant Des Lits. Globalement, la discographie post-eighties de Polnareff ne vaut pas grand chose, mais à l’écoute de ce morceau-là on est tenté de réévaluer ses pires chansons (même LNA HO, c'est dire !). Avant Bercy, en mars, le chanteur à bouclettes voudrait doucher l’enthousiasme de ses fans qu’il ne s’y prendrait pas autrement. Il ne manquerait plus qu’il sorte réellement un nouvel album – comme je l’ai lu récemment – en février… Ben, non, finalement, Michel, t’es pas obligé. Ou alors, promets-nous d’oublier Pro-Tools, de lâcher ton home-studio et de réembaucher Pierre Grosz pour les textes…

Bon, il y a quand même pour ladite chanson un clip visible sur le site officiel du chanteur (www.polnaweb.com). Il est au moins aussi affligeant que le texte qu’il illustre. Mais il est aussi extrêmement révélateur. Polnareff y cultive cette absence, cette distance qui sont devenues sa marque de fabrique : à sa voix noyée, transformée sous des couches d’effets répond toujours cette volonté de ne pas apparaître, de ne plus se montrer, de jouer la carte du mystère (seule entorse à cette règle, son duplex il y a quelques mois dans le journal télévisé de TF1 pour annoncer son retour en France). Du coup, ce titre apparaît encore plus clairement pour ce qu'il est, comme une parodie involontaire de ce que le chanteur composa de pire. Avatar actualisé d’une star d’antan, Polnareff semble cultiver aujourd’hui une image qui n’a plus grand rapport avec ce qu’il est devenu. Il n’est physiquement nulle part, inaccessible, et sa musique semble, elle, bel et bien perdue dans les années 80 (voix retraitée au vocoder, rythmiques synthétiques, on se croirait revenu aux oubliables albums Bulles ou Incognito…). Les affiches de Bercy présentent d’ailleurs un visage stylisé, flou, aux contours fluos renvoyant à son look d’alors. Intemporel, certes, mais aussi cruellement à côté de la plaque aujourd’hui…

Parlons enfin du plus intéressant dans ce clip, avec l’apparition de Jean-Paul Rouve pour jouer durant quelques secondes le rôle de Polnareff. Oui, l’ex-Robin des Bois, celui-là même qui interprétait un sosie du chanteur dans l’infâme Podium de Yann Moix. Cette image altérée du chanteur, elle est d’abord fugace, diffusée par un écran d’ordinateur planqué dans un coin du cadre. Cela rappelle bien évidemment les apparitions déjà fantomatiques de Polnareff dans les écrans du clip de Goodbye Marylou, sa dernière chanson à peu près digne. Pourtant, le problème, c’est que de ce jeu sur le sosie, le clip ne fait rien. C’est juste un clin d’œil débile, sans intérêt, une façon de raccorder l’esthétique année 80 avec le cynisme du XXIe siècle. Dans un clip d’Emilie Chedid pour –M– Vincent Lindon jouait, sur un principe proche, le rôle du chanteur à la coupe étrange durant les trois quarts d’une excellente vidéo (à voir ici). Le développement du récit justifiait l’utilisation de cet avatar, quand le faux Polnareff d’Ophélie n’est qu’un rappel malin et opportuniste à destination des jeunots qui ne connaissent de lui que son sosie de cinéma.

A Bercy, Polnareff ne pourra plus se planquer derrière les images et les masques. La légende – bien entamée ces jours-ci – risque d’en prendre un coup. Réponse le 2 mars…

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18 novembre 2006 6 18 /11 /novembre /2006 16:05

A l'heure où sort le formidable premier album solo de Jarvis Cocker, pourquoi ne pas redécouvrir le clip du non moins formidable This is Hardcore de Pulp, réalisé par Doug Nichol en 1998 ?

Si les professionnels du clip ont du mal, généralement, à dissimuler leurs complexes par rapport au septième art, la fascination pour le cinéma hollywodien de l'âge d'or est ici totalement assumée. Mais quand Jarvis se fait son cinéma, ça n'est jamais très classique...

On se souvient du mauvais clip qu'avait réalisé David Lynch pour Chris Isaak (Wicked Game). Or, c'est plutôt derrière celui-ci qu'on l'aurait bien imaginé... Hollywood et Mullholland Drive bien sûr... La fascination avérée pour le mélodrame et le film noir... Puis au détour d'un plan, ne jurerait-on pas voir, dans le Jarvis Cocker titubant au milieu des danseuses, David Bowie apparaissant, tel un fantôme, dans Twin Peaks, Fire Walk With me ?

Twin Peaks, Fire Walk With Me & Mullholland Drive de David Lynch
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20 octobre 2006 5 20 /10 /octobre /2006 22:21

 

 

On sait à quel point, souvent, le clip repose sur des effets de sidération, sur un pur plaisir de la forme, de la stimulation visuelle, qui laisse le sens et la signification loin derrière l'expérience sensorielle. Le jeu sur les couleurs, sur la luminosité, le recours à la pyrotechnie peuvent dès lors devenir des éléments déterminants quand il s'agit de traduire visuellement la pulsation produite par la musique (pensons simplement au déferlement lumineux du Discotheque de U2 ou aux feux d'artifice du Cochise d'Audioslave).

Paradoxalement, ce clip de Kojak s'appuie sur un effet de sidération traditionnel - l'explosion : figure banale du cinéma d'action hollywoodien - qu'il vide de sa substance spectaculaire en le ralentissant jusqu'à l'abstraction plastique. Le décalage entre la "house" rapide et rythmée et ce plan séquence ralenti provoque un effet d'étrangeté saisissant. On regrettera juste que le principe ne soit pas tenu jusqu'au bout, certains éléments (retouchés numériquement, imagine-t-on) venant s'écraser à vitesse réelle devant la caméra...

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12 octobre 2006 4 12 /10 /octobre /2006 15:35


NY Excuse de Soulwax a en commun avec They Live (Invasion Los Angeles) de John Carpenter un aspect brut, ouvertement politique, qui donne à ce clip une coloration engagée le rapprochant d'un certain cinéma expérimental ou, plus précisément, du "film-tract". Une même cible désignée : la société de consommation. Mais peu de points communs, pourtant, entre le recours au "found footage" des belges de Soulwax et l'approche classique (proche de la série B fifties) d'un Carpenter. Pourtant, les injonctions qui barrent l'écran pour pousser protagonistes ou téléspectateurs à consommer ou à obéir aux règles dressent bel et bien, l'espace de quelques secondes, un pont inattendu entre eux... De là à ce que les membres de Soulwax (ou les 2 Many DJ's, leur projet parallèle) samplent l'une des formidables B.O. composées par Carpenter, il n'y a qu'un pas...

They Live de John Carpenter (1988)
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9 octobre 2006 1 09 /10 /octobre /2006 12:21
Les idées les plus simples donnent parfois des clips mémorables.
Celui-ci, réalisé par Émilie Chédid pour le premier single de Mathieu Boogaerts en 1995, faisait de la durée de la chanson le temps nécessaire à la transformation de Mathieu en Boogaerts. Plus proche de la performance que de la captation traditionnelle, ce clip pointait peut-être aussi, en filigrane, la nécessité de présenter un look "acceptable" pour passer à la télé à une heure de grande écoute. Le clip pour faire partie du flux ? Pour gommer les différences ?





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29 septembre 2006 5 29 /09 /septembre /2006 16:05


Walkie Talkie Man
de Michel Gondry

 
Il y a quelque temps - avant de se perdre dans son imaginaire et dans ses marottes regressives (décidément, je ne peux m'empêcher de préciser à nouveau à quel point je n'aime pas La science des rêves) - Michel Gondry enthousiasmait en proposant à chaque nouveau clip un nouveau concept. Chose encore vérifiable il y a deux ans avec cette vidéo réalisée pour un obscur groupe néo-zélandais dont le principal fait d'armes fut d'avoir son morceau popularisé par une publicité pour I-Tunes.
Si l’on pense un peu en voyant ces images aux musiciens de Supergrass transformés en poupées de chiffons pour le jubilatoire Pumping on Your Stereo réalisé par Garth Jennings, ce clip se double à mes yeux d’une critique implicite de l’industrie musicale. Dans ces trois minutes de fureur tricotées par Gondry, les jeunes rockers de Steriogram – surlookés, sur-produits, vaguement crétins – s’apparentent bel et bien à des pantins, à des marionnettes dont les fils seraient tirés par d’autres : par des producteurs malins postés derrière leur console et, plus encore, par le réalisateur lui-même. Car dans Walkie Talkie Man – entre un clin d’œil à King Kong et un autre à Bolide (l’un de ses premiers clips) – Gondry apparaît pour la première fois dans son propre rôle.
Tandis que les musiciens grattent leurs molles guitares dans un studio d’enregistrement tenant lieu de décor au tournage de la vidéo, il y a derrière cette apparition quelque chose qui nous parle de la construction d’un groupe par l'image. Deux ans plus tard, on ne sait d'ailleurs plus qui est Steriogram mais on se souvient assurément de ce clip.
Un temps boudé par l’industrie musicale, le clip retrouvait là sa fonction toute-puissante de modelage avec un Gondry prenant l’ascendant sur des musiciens ne se rendant sans doute pas compte du mauvais tour qu’on leur jouait (à l'inverse, si l’on parle encore de Fell in Love with a Girl comme du clip en Légo du réalisateur, ce n’est jamais au détriment des White Stripes qui avaient, eux, l’avantage d’être connus bien avant qu’il les filme). Steriogram fut donc le groupe d’un seul single. Et cette entrée en matière impressionnante servit finalement plus la cause du clip et du cinéma que celle d’un groupe d'emblée pressenti médiocre.
Filmant à sa manière la naissance d’un tube dans une vidéo dont le ludisme auto-célébratif consacrait rien moins que l’étendue de son talent, Gondry apparaissait bel et bien là tel le premier réalisateur-star de l’histoire du clip.

NB : Dans cette façon de "signer" un clip et d'affirmer la place souveraine du réalisateur, on peut penser aussi à la démarche d'un Roman Coppola lorsqu'il réalisa Funky Squaredance pour Phoenix (voir ici).

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19 septembre 2006 2 19 /09 /septembre /2006 17:19
A propos de quatre réalisateurs récemment compilés en dvd, reprise d'un texte publié l'an dernier dans Bref n°69

Après Michel Gondry, Spike Jonze et Chris Cunningham, la précieuse collection « The Work of Director » livrait en 2005 quatre nouveaux dvd, cette fois-ci consacrés aux clips de Mark Romanek, Anton Corbijn, Stéphane Sednaoui et Jonathan Glazer.
Moins enthousiasmants que les trois premiers volumes, où chacun possédait un univers des plus personnels, les réalisateurs choisis ici étaient avant tout d’habiles faiseurs. Leurs clips, s’ils ne permettaient pas de pointer l’existence d’un génie méconnu, donnaient l’occasion d’une immersion dans une forme travaillée par des questions passionnantes quant au rapport musique/image. Entre facilités irritantes et inspirations inespérées, petite revue d’un genre parfois passionnant à travers le travail de quatre réalisateurs-phare.

Live, sidération et pyrotechnie

La principale question que pose le clip tient à la position de l’artiste dans la vidéo. Le filmera-t-on ? Chantera-t-il ? Devra-t-il jouer la comédie ? Si Glazer est, des quatre réalisateurs, celui qui s’affranchit le plus de la nécessité de filmer les interprètes, Romanek est sans doute celui qui leur est le plus fidèle. Tous ses clips filment la performance. Avec lui, quoique dans des conditions particulièrement difficiles (il a une réputation de tyran perfectionniste), les artistes font leur travail. Si, exceptionnellement, il demande un jour à un chanteur de jouer la comédie, ce sera, comme par hasard, à un familier des plateaux de cinéma tel David Bowie pour le clip de Jump They Say.
Logiquement, Romanek est donc devenu maître dans l’art de filmer le live. Il dit lui-même privilégier l’énergie se dégageant des images. Are you Gonna Go my Way pour Lenny Kravitz en témoigne, mettant en valeur, comme rarement dans un clip, l’authenticité d’une performance et l’énergie d’un morceau au riff imparable. La captation a aussi cela d’intéressant chez Romanek qu’elle peut tendre vers l’abstraction ou vers la pure sidération visuelle. Dans son clip pour Linkin’Park, il choisit de filmer le groupe de dos, à contre-jour, depuis le fond de la scène, pour mettre en valeur la foule qui écoute. Les silhouettes, les ombres des musiciens s’apparentent alors à des pulsations visuelles scandées par un jeu d’éclairages impressionnant. Dans un registre proche, la prestation d’Audioslave, juché sur un échafaudage branlant, juste sous les explosions d’un feu d’artifice démesuré, a donné lieu récemment au clip le plus enthousiasmant de Romanek, celui où son goût pour le vertige visuel et les jeux de lumière s’est exprimé le plus nettement (ici). S’aventurant dans ce domaine de pur plaisir formel, jamais loin de l’esbroufe, Stéphane Sednaoui signa, en 1997, l’un des meilleurs clips de U2 en imaginant le groupe de Bono livrant sa prestation à l’intérieur d’une gigantesque boule à facettes. Effet saisissant : la télé couleur semble avoir été inventée pour diffuser le clip kaléidoscopique de Discotheque.
 
Paradoxe du playback
Qui dit performance live dans un clip dit paradoxalement recours au playback. Si les artistes chantent, ils ne le font plus forcément devant un micro et les guitares ne sont pas forcément branchées. Le clip est le terrain de l’illusion, de la simulation. On y fait semblant, à l’image de Nick Cave dans ce clip d’Anton Corbijn où, pourtant sur une scène de théâtre, il évite ostensiblement de chanter dans le micro se dressant devant lui (voir ici). Plus fréquemment, aussi, on chante, mais partout sauf dans un studio d’enregistrement ou dans une salle de concert. On se rapproche alors un peu d’une logique de comédie musicale où le fait de chanter n’est même plus motivé par le lieu ou le contexte (exemple : Alanis Morissette dans sa voiture pour Ironic, réalisé par Sednaoui). On ne compte plus les clips où un interprète déambule dans la rue en chantant pour la caméra. Ces déambulations s’accompagnent le plus souvent de pénibles travellings arrière (ceux de Romanek pour Jay-Z ou Mick Jagger) et d’un montage faisant se succéder des lieux uniquement choisis pour leur photogénie. Ce procédé paresseux s’oppose au live en abolissant la notion d’espace à occuper, de scène. Le montage se charge de tout. Comme si le plus important était de trouver le bon décor. Quitte à sombrer dans le n’importe quoi quand on demande au leader des Rolling Stones de chanter dans une chambre froide.
 
Les fantômes du 7e art
Néanmoins, trouver le bon décor fait parfois le bon clip. Nous parlions de Discotheque de U2, on peut aussi penser à deux clips réalisés par Glazer pour Massive Attack et Blur. Le premier, hommage à quelques films perturbants, se déroule dans un hôtel influencé par celui de Shining. Dans le second, Blur joue sur une scène plantée dans un lieu rappelant Orange mécanique, tandis que son chanteur, Damon Albarn, n’en finit pas de singer les mimiques de Malcolm Mc Dowell dans le film de Kubrick. Si Glazer, auteur, depuis, du troublant long métrage Birth, est le moins prolifique des quatre réalisateurs, c’est aussi celui qui, d’emblée, lorgnait le plus vers le septième art. Rabbit in your Headlights pour Unkle en témoigne en ne montrant jamais le chanteur et en convoquant l’acteur Denis Lavant pour une mini-fiction tendant clairement vers le court métrage. Il faudrait aussi mentionner les clips réalisés par Romanek pour Nine Inch Nails, sorte de digest expérimental mêlant le gothique le plus sombre aux visions horrifiques des frères Quay ou de Eraserhead. Et si, bien souvent, des longs métrages se dissimulent, tels des fantômes, sous un clip ou derrière certaines de ses images (Jump They Say de Romanek/Bowie et ses hommages appuyés à Alphaville et La jetée), ça nous rappelle que le clip se nourrit de tout, à commencer de ce grand frère vers lequel les regard des réalisateurs se tournent, de leur propre aveu, avec envie.
 
Dualité du clip
Cette ambiguïté, d’ailleurs, n’est que rarement résolue, et trop nombreux sont ceux qui ne choisissent pas ce qu’ils veulent filmer. Tiraillée entre la volonté de fiction et l’enregistrement de la performance, cette hésitation produit les clips les plus répandus. On y voit alterner ad libitum les plans convenus sur les interprètes avec une fiction hors de propos ou, pire encore, avec des images esthétisantes (des portraits de miséreux, souvent…) présentes pour faire joli ou pour renforcer artificiellement une prestation faiblarde. Cette plaie du montage parallèle, on la retrouve trop souvent chez Romanek (voir – ou ne pas voir – ses clips pour REM, KD Lang ou Janet Jackson) tandis que d’autres réussissent à la contourner intelligemment. Si l’histoire que filme Sednaoui pour les Black Crowes n’a rien à voir avec la performance du charismatique chanteur qu’il veut aussi montrer, il s’en sort en faisant de lui une sorte d’ange observant de haut les malheurs de la prostituée interprétée par une toute jeune Sofia Coppola. Le plus ingénieux, à ce petit jeu, fut pourtant Corbijn avec Hero of the Day. Les membres du groupe Metallica y apparaissent bel et bien, mais toujours dans les images d’un téléviseur, au gré du zapping de son héros, tels les acteurs des différents programmes qu’il regarde (western, émission de jeu, etc.).
 
J'aurais pu parler aussi de l’emploi du noir et blanc, évoquer ces chanteurs gesticulant face à des objectifs grand angle, rappeler l’importance des costumes et des accessoires (pour tout cela, voir le dispendieux Scream interprété par Michael et Janet Jackson et filmé par Romanek), mais la place manque tant le clip, genre pluriel et paradoxal, ne cesse de se répéter tout en se renouvelant. Les quelque 80 clips que proposent les volumes 4, 5, 6 et 7 des dvd édités par Labels offrent un bon résumé de ce que le genre propose. Du pire au meilleur. L’excellence, elle, se niche toujours dans le volume 3, consacré à un certain Michel Gondry.
 
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