Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
1 janvier 2008 2 01 /01 /janvier /2008 20:27

01


Passé minuit, l’année commence avec les Sex Pistols, je crois. Pas mal. Quel morceau, je ne sais plus trop. Anarchy in the UK ou God Save the Queen. Forcément. D’une oreille distraite, on blindteste mollement tandis que le PC dans un recoin de la pièce déroule les mp3, tout aussi aléatoire dans ses enchaînements que nos conversations décousues. Notre hôte a bon goût. Pas trop de risque de mal tomber. Je me souviens qu’à un moment, pour rire, on a écouté un album de bootlegs (IPunx, un must !) et mis par-dessus des vidéos de tecktonik youtubesques. Eh bien, Grappa ou pas, ça avait de la gueule. Ouais.

Au petit matin, entre Marx Dormoy et La Chapelle, slalomant entre flaques de gerbe et grappes de fêtards sapés classe et court pour l’occasion, une fête qui s’éternise : des gens se trémoussent au premier étage, fenêtre ouverte, sur Loser de Beck. J’aurais bien aimé être invité là aussi. Pour danser, quoi !

Au retour, inutile de parler de ces visages hagards dans le RER de sept heures du matin. De cette jeune femme piquant une crise de larmes (ou d’angoisse) dans le couloir, à Nation. De ce type à capuche disant avec commisération à son pote qui vomit dans le caniveau, "Putain, faut qu’t’arrêtes de boire, mec"


Plus tard dans la journée, après quelques maigres heures de sommeil, des sms de circonstance. Comment faisait-on avant au fait ? C’est parfait les sms, ça laisse du répit, on y répond comme on veut, quand on veut. Je crois même avoir répondu à l’un d’entre eux : "2008 : Keep on Rockin’ in the Free World". Hmm... Neil, si tu savais…

Je continue le rangement des vhs entamé la veille. Les cassettes, ce n’est que le début. Ou la suite. Je ne sais plus trop. Sûr que mon mon appart’ débute 2008 tout neuf. Lui au moins, il doit se sentir bien. Ranger tout ça, c’est long, c’est fastidieux. Les vhs... C’est pas comme les musicassettes. Aucune affection, aucune nostalgie pour ce support. Celles que je ne jette pas vont droit dans des cartons, planquées dans le placard. Qu’elles ne m’emmerdent plus celles-là ! De toutes façons, je ne les regardais plus, elles ne me manqueront pas.

Ceci dit, rien de tel que ranger chez soi pour écouter des disques. C’est aussi idéal comme contexte que faire la vaisselle. On y est dans un état de disponibilité total.

Alors, c’était quoi les premiers disques de l’année ? Des vinyles. Rien que du vieux. D’abord Rattle and Hum de U2. Ce disque a vingt ans. Je l’ai vaguement entendu cet été au bord de la mer chez des amis et je m’étais dit alors qu’il faudrait que je le réécoute attentivement. Ce double album, je l’ai donc acheté en 1988. Et je le redécouvre avec plaisir – penser à aller voir les tablatures de Helter Skelter – Etrangement, j’avais totalement oublié l’existence d’un morceau intitulé God Part 2, et, là, les doigts pleins de poussière, La Porte du paradis version intégrale entre les mains, je réalise à quel point j’ai dû l’écouter à l’époque. God Part 2, putain ! Les quatre faces achevées, c’est le Say it Ain’t So de Murray Head que j’ai envie de poser sur la platine. Parce que j’en parlais il y a peu avec Arbobo, mon voisin de blog. Parce que John Steed, un ami, me loue souvent les qualités de ce disque. Et c’est vrai que – bien qu’inégal – il recèle quelques perles aux mélodies fort délectables.

La matinée s’achève – vers 15h – en douceur avec un disque de Georges Moustaki rarement écouté. Il n’a pas de titre, il date de 1979 et commence par l’immarcescible Et pourtant dans le monde. Avec ce mec-là qui chante et qui gratte sa guitare, je me sens bien. Ouais.

J’avais bien pensé sortir, faire un tour dans ce bois à côté de chez moi. Mais la nuit tombait déjà.

Cette journée n’est rien, elle n’existe pas. Juste un sas emprunté nonchalamment avant le vrai premier jour de l’année. Demain.

 

Partager cet article
Repost0
15 décembre 2007 6 15 /12 /décembre /2007 13:13

Ça recommence. Un lundi. Aux alentours de midi. Dans cette librairie où l’on vend surtout des disques, quelques hommes entre deux âges, entre bacs à vinyles et rangées de cd. Les boîtiers en plastique s’entrechoquent violemment. Rythmique supersonique pour curieux compulsifs. Le son sec et répétitif couvre le disque qui passe. Tu le connais, mais tu ne l’identifies pas. Les boîtiers claquent. Tu te demandes s’ils lisent les titres, s’ils identifient chaque cd. Le bruit est assourdissant. Inquiétant. 120 bpm. Au bas mot. Comme si le temps leur était compté. Regardent-ils vraiment ces cd ou se rassurent-ils dans le simulacre de l’exploration minutieuse du moindre bac ?
Des vieux disques sous pochettes cartonnées ou de leurs manteaux, tu ne sais trop ce qui sent le plus le renfermé. Ils naviguent entre les rayons. Méthodiquement. Ils ne font pas attention à toi. Ou plutôt si : une fraction de seconde, du coin de l’œil, ils t’ont jaugé, se sont demandés qui tu étais. Tu as vingt ans de moins qu’eux. Ils ne t’ont jamais vu par ici. Tu es venu chercher des 33 tours. Sans but précis, tu déambules. Déambuler, quelle drôle d’idée. Ici, il faut être efficace et pragmatique, ne rien laisser passer, trouver la perle avant le concurrent.
Ce jour-là, tu n’es pas allé travailler. Cette boutique, tu la connaissais le week end. Il y a bien longtemps. C’est là que tu avais acheté Made in Japan. Mais tu ne te souviens pas l’avoir fréquentée en début de semaine, comme là, juste avant l’heure du déjeuner. Tu pressens que certains viennent presque chaque jour, à l’affût des derniers arrivages. Peut-être n’est-ce que la première étape d’un périple journalier qui les mènera ensuite jusque chez Boulinier puis chez Gibert. D’une boutique à l’autre, se retrouvent-ils ? Poursuivent-ils la conversation entamée dans un autre arrondissement ? Peut-être sont-ils même interchangeables… Cette perspective étouffante te fait un peu peur. Tu as une soudaine envie de retrouver l’air libre. Tu vas sortir les mains vides. Tant pis.
Près du rayon rock, les odeurs de frites ou de clopes se mêlent aux rances relents de sueur. Absorbés dans leur quête aussi vague que compulsive, les clients bodysnatchés ne voient rien autour d’eux. Ils ont très vite su que tu n’étais pas de leur monde. Ils t’ont déjà oublié. Du moment que tu ne te retrouves pas en travers de leur chemin, tu leur importes moins qu’une nouveauté en tête de gondole à la Fnac. Il vaut mieux partir avant de finir comme eux qui se frôlent sans se voir, chorégraphie approximative de corps malhabiles et bossus d’avoir été trop longtemps penchés sur les bacs à soldes. Les vendeurs, la soixantaine, ne sont guère plus avenants. Ils classent, ils étiquettent. Inlassablement. Tu leur aurais bien demandé le nom de ce disque si familier, mais le regard dédaigneux de celui qui t’a accueilli sans mot dire t’en dissuade.

Le bras du tourne-disque tressaute.
tourne-disque tressaute. A deux minutes et trente quatre secondes précisément. C’est toujours au moment où tu veux pousser la porte. Ça te revient. Une fois de plus, tu te retrouves au fond du magasin, avec ce type en imperméable qui passe pour la énième fois devant toi en te bousculant… Tu as encore ce disque de Sticky Feet entre les mains, tu étais pourtant sûr de l’avoir posé… Juste avant de sortir… Il y a un instant…
Ça recommence. Un lundi. Aux alentours de midi. Dans cette librairie où l’on vend surtout des disques, quelques hommes entre deux âges, entre bacs à vinyles et rangées de cd. Les boîtiers en plastique s’entrechoquent violemment. Rythmique supersonique pour curieux compulsifs. Le son sec et répétitif couvre le disque qui passe. Tu le connais, mais tu ne l’identifies pas. Les boîtiers claquent. Tu te demandes s’ils lisent les titres, s’ils identifient chaque cd. Le bruit est assourdissant. Inquiétant. 120 bpm. Au bas mot. Comme si le temps leur était compté. Regardent-ils vraiment ces cd ou se rassurent-ils dans le simulacre de l’exploration minutieuse du moindre bac ?
Des vieux disques sous pochettes cartonnées ou de leurs manteaux, tu ne sais trop ce qui sent le plus le renfermé. Ils naviguent entre les rayons. Méthodiquement. Ils ne font pas attention à toi. Ou plutôt si : une fraction de seconde, du coin de l’œil, ils t’ont jaugé, se sont demandés qui tu étais. Tu as vingt ans de moins qu’eux. Ils ne t’ont jamais vu par ici. Tu es venu chercher des 33 tours. Sans but précis, tu déambules. Déambuler, quelle drôle d’idée. Ici, il faut être efficace et pragmatique, ne rien laisser passer, trouver la perle avant le concurrent.
Ce jour-là, tu n’es pas allé travailler. Cette boutique, tu la connaissais le week end. Il y a bien longtemps. C’est là que tu avais acheté Made in Japan. Mais tu ne te souviens pas l’avoir fréquentée en début de semaine, comme là, juste avant l’heure du déjeuner. Tu pressens que certains viennent presque chaque jour, à l’affût des derniers arrivages. Peut-être n’est-ce que la première étape d’un périple journalier qui les mènera ensuite jusque chez Boulinier puis chez Gibert. D’une boutique à l’autre, se retrouvent-ils ? Poursuivent-ils la conversation entamée dans un autre arrondissement ? Peut-être sont-ils même interchangeables… Cette perspective étouffante te fait un peu peur. Tu as une soudaine envie de retrouver l’air libre. Tu vas sortir les mains vides. Tant pis.
Près du rayon rock, les odeurs de frites ou de clopes se mêlent aux rances relents de sueur. Absorbés dans leur quête aussi vague que compulsive, les clients bodysnatchés ne voient rien autour d’eux. Ils ont très vite su que tu n’étais pas de leur monde. Ils t’ont déjà oublié. Du moment que tu ne te retrouves pas en travers de leur chemin, tu leur importes moins qu’une nouveauté en tête de gondole à la Fnac. Il vaut mieux partir avant de finir comme eux qui se frôlent sans se voir, chorégraphie approximative de corps malhabiles et bossus d’avoir été trop longtemps penchés sur les bacs à soldes. Les vendeurs, la soixantaine, ne sont guère plus avenants. Ils classent, ils étiquettent. Inlassablement. Tu leur aurais bien demandé le nom de ce disque si familier, mais le regard dédaigneux de celui qui t’a accueilli sans mot dire t’en dissuade.

Le bras du tourne-disque tressaute.
tourne-disque tressaute. A deux minutes et trente quatre secondes précisément. C’est toujours au moment où tu veux pousser la porte. Ça te revient. Une fois de plus, tu te retrouves au fond du magasin, avec ce type en imperméable qui passe pour la énième fois devant toi en te bousculant… Tu as encore ce disque de Sticky Feet entre les mains, tu étais pourtant sûr de l’avoir posé… Juste avant de sortir… Il y a un instant…
Ça recommence. Un lundi. Aux alentours de midi. Dans cette librairie où l’on vend surtout des disques, quelques hommes entre deux âges, entre bacs à vinyles et rangées de cd. Les boîtiers en plastique s’entrechoquent violemment. Rythmique supersonique pour curieux compulsifs. Le son sec et répétitif couvre le disque qui passe. Tu le connais, mais tu ne l’identifies pas. Les boîtiers claquent. Tu te demandes s’ils lisent les titres, s’ils identifient chaque cd. Le bruit est assourdissant. Inquiétant. 120 bpm. Au bas mot. Comme si le temps leur était compté. Regardent-ils vraiment ces cd ou se rassurent-ils dans le simulacre de l’exploration minutieuse du moindre bac ?
Des vieux disques sous pochettes cartonnées ou de leurs manteaux, tu ne sais trop ce qui sent le plus le renfermé. Ils naviguent entre les rayons. Méthodiquement. Ils ne font pas attention à toi. Ou plutôt si : une fraction de seconde, du coin de l’œil, ils t’ont jaugé, se sont demandés qui tu étais. Tu as vingt ans de moins qu’eux. Ils ne t’ont jamais vu par ici. Tu es venu chercher des 33 tours. Sans but précis, tu déambules. Déambuler, quelle drôle d’idée. Ici, il faut être efficace et pragmatique, ne rien laisser passer, trouver la perle avant le concurrent.
Ce jour-là, tu n’es pas allé travailler. Cette boutique, tu la connaissais le week end. Il y a bien longtemps. C’est là que tu avais acheté Made in Japan. Mais tu ne te souviens pas l’avoir fréquentée en début de semaine, comme là, juste avant l’heure du déjeuner. Tu pressens que certains viennent presque chaque jour, à l’affût des derniers arrivages. Peut-être n’est-ce que la première étape d’un périple journalier qui les mènera ensuite jusque chez Boulinier puis chez Gibert. D’une boutique à l’autre, se retrouvent-ils ? Poursuivent-ils la conversation entamée dans un autre arrondissement ? Peut-être sont-ils même interchangeables… Cette perspective étouffante te fait un peu peur. Tu as une soudaine envie de retrouver l’air libre. Tu vas sortir les mains vides. Tant pis.
Près du rayon rock, les odeurs de frites ou de clopes se mêlent aux rances relents de sueur. Absorbés dans leur quête aussi vague que compulsive, les clients bodysnatchés ne voient rien autour d’eux. Ils ont très vite su que tu n’étais pas de leur monde. Ils t’ont déjà oublié. Du moment que tu ne te retrouves pas en travers de leur chemin, tu leur importes moins qu’une nouveauté en tête de gondole à la Fnac. Il vaut mieux partir avant de finir comme eux qui se frôlent sans se voir, chorégraphie approximative de corps malhabiles et bossus d’avoir été trop longtemps penchés sur les bacs à soldes. Les vendeurs, la soixantaine, ne sont guère plus avenants. Ils classent, ils étiquettent. Inlassablement. Tu leur aurais bien demandé le nom de ce disque si familier, mais le regard dédaigneux de celui qui t’a accueilli sans mot dire t’en dissuade.

Le bras du tourne-disque tressaute.
tourne-disque tressaute. A deux minutes et trente quatre secondes précisément. C’est toujours au moment où tu veux pousser la porte. Ça te revient. Une fois de plus, tu te retrouves au fond du magasin, avec ce type en imperméable qui passe pour la énième fois devant toi en te bousculant… Tu as encore ce disque de Sticky Feet entre les mains, tu étais pourtant sûr de l’avoir posé… Juste avant de sortir… Il y a un instant…
Ça recommence.

Partager cet article
Repost0
4 novembre 2007 7 04 /11 /novembre /2007 20:32


Elle dodeline. Lentement. Les battements de son cœur s’accordent à la pulsation du morceau. Soudain, ça va mieux. Dans la stéréo, la plainte d’un chanteur plus si jeune. Helpless. Le réconfort de cette chanson cocon. Celle sur laquelle il lui avait appris à jouer de la guitare. Trois accords. Plus jamais d’accord. Elle devrait pleurer, mais l’écouter, finalement, lui fait du bien. Dehors, il fait froid. La voix la réchauffe. Ses disques : et si c’était tout ce qui lui restait. Les siens bien sûr, mais ceux qu’il lui avait offerts, surtout… Ce concert à Massey Hall. Elle n’était même pas née. Et tout était déjà si triste.
Ses disques. Quand rien ne va plus, quand elle tourne en rond, eux demeurent de vaillants petits soldats faisant bloc sous le ciel maussade. Malgré les ruptures, les morts, les trahisons qu’ils recensent et collectionnent. Trente-trois tours sur eux même, la magie opère. Les cœurs y sont éraflés, déchirés, on n’y dénombre plus les balafres, et pourtant, pourtant, les écouter, c’est déjà apprivoiser la peine.
La journée s’achève. Un jour de plus sans avoir réussi à rien faire. Pas un mot à coucher sur le papier. Elle toujours couchée sur le plancher. A se complaire dans son mélo. Comme elle déteste ces dimanches dans l’abîme desquels résonne si cruellement l’écho de son absence. Une bien mauvaise chanson triste que la sienne. Pourquoi n’arrive-t-elle donc pas à en faire jaillir autre chose que cette boule de feu et d’amertume. Quel connard ! Elle aurait dû sortir, l’oublier, appeler, répondre enfin aux regards des passants anonymes. Elle ne voyait pas grand monde ces temps-ci. Qui aurait daigné l’écouter ? Elle préférait aux vivants la compagnie de sa sèche. Sèche en dedans, elle savait bien qu’il lui fallait se secouer, gratter la mélancolie jusqu’à ce qu’une nouvelle peau affleure de son cadavre de pleurs. Mais elle restait couchée là, lasse, tout cela pourrait bien attendre demain.
Le lundi, la vie reprendrait son rythme métronome. Jusqu’au dimanche suivant.


Partager cet article
Repost0
25 octobre 2007 4 25 /10 /octobre /2007 21:49

"Vous cherchez quelque chose ?". Le jeune homme en veste kaki leva les yeux du bac dans lequel il fouillait depuis de longues minutes. "Non, je regarde juste", répondit-il avec un sourire poli.
Il avait l’air de s’ennuyer ferme, le vendeur.
Dans le froid de l’automne, piégé dans cette brocante en plein air tout juste fréquentée par les volutes venteuses et quelques promeneurs égarés, il maudissait sa crédulité. Encore une journée d’foutue. On lui avait promis du monde, du beau temps, des collectionneurs de 33 tours et des fans de Johnny. Tu parles ! Ce n’était pas un client comme le binoclard en face de lui qui allait l’aider à rentabiliser son déplacement. Tout juste pourrait-il éventuellement le distraire de cet ennui dans lequel il s’enfonçait depuis une ouverture bien trop matinale. Il se demandait s’il avait eu autant de mal que lui à trouver l’emplacement. Venir de si loin pour ça… Sûr que cette fois-ci, il n’avait pas eu de problème pour se garer. Et personne pour râler pendant qu’il déchargeait ses cartons de vinyles. C’était déjà ça.
- Vous avez de quoi les lire ?, demanda-t-il dans l’espoir d’engager cette fois une véritable conversation.
- Pardon ?
- Les 33 tours, vous pouvez les écouter ?
- Bien sûr, encore heureux !
- Je demande, vous savez, parce qu’il y a plein de jeunes qui m’achètent des disques  mais qui n’ont même pas de platine pour les lire…
- Je ne suis plus si jeune que ça.
- Plus que moi en tout cas… 
Le plus si jeune homme acquiesça d’un air entendu. Mais, peu disert, il referma de lui-même la parenthèse.

Mais il croyait quoi, celui-là ? Qu’il n’avait jamais connu que le cd ? Apparemment, le vendeur ne se doutait pas que les disques qu’il achetait adolescent avaient longtemps été des vinyles. Sa première platine laser, celle que lui avait donné son père, il avait dû l’avoir à l’orée des années 90, pas avant. Se doutait-il seulement de cette coquetterie langagière que lui reprochaient ses amis, sa propension maladive à parler de ses microsillons plutôt que de ses 33 tours ?
Occupé à défaire le cellophane entourant son jambon/beurre, le disquaire ne le vit pas attaquer pour la énième fois la rangée de bacs pop/rock. Tandis qu’il en avalait la dernière bouchée, l’acheteur hésitant se disait qu’il fallait vraiment qu’il se décide entre tous ces disques qu’il venait de repérer. Il devait rentrer maintenant. Il lui avait promis que cette fois-ci il n’y passerait pas la journée. D’autant plus qu’il devait, le soir même, aller filmer Sticky Feet en studio. Il l’avait promis à Julien. Maintenant que le groupe était signé, il n’allait pas arrêter l’enregistrement de leur épopée balbutiante sous prétexte qu’il devait se comporter en adulte responsable. Il savait bien qu’elle allait en faire un drame, lui reprocher encore une fois de lui laisser le bébé sur les bras. Tant pis. Il tendit Ram, Ummagumma et le troisième Zep au vendeur solitaire. Il aurait tant aimé rester là encore un peu, faire le tri complet de ce bac funk qu’il n’avait fait que survoler tout à l’heure.
Il était déjà trop tard pour réagir quand les doigts graisseux du disquaire se posèrent sur la pochette du McCartney. Le vendeur dût remarquer son regard rivé au disque souillé car il saisit aussitôt une serviette en papier sur le rebord de son stand pour s’essuyer grossièrement les mains. Le petit mec qui désormais le flinguait du regard avait bon goût. Rien de décisif, certes, pas très aventureux, mais rien à redire sur ses choix. Il était juste un peu surpris qu’il écoute à son âge de si vieux trucs. De si vieux trucs ? La boule d’angoisse remonta soudain quand il se rendit compte que lui n’avait écouté aucun de ces trois disques depuis plus de vingt ans. Il glissa les reliques dans un sachet en plastique.
Le vent redoublait d'ardeur, lui sembla-t-il. Alors que le garçon signait son chèque, un éclair, au loin, zébra le ciel fondu au noir. Ouais, l’après-midi s’annonçait vraiment merdique.

 

Partager cet article
Repost0
4 octobre 2007 4 04 /10 /octobre /2007 23:34


PICT0024-copie-1.JPGQuand on lui demandait le genre de musique qu’il aurait aimé jouer, les chansons qu’il aurait aimé écrire, il pensait invariablement à Yves Simon. Au chanteur des années 70, précisait-il toujours, celui qui rêvait Juliet dans les diabolos menthe, qui citait Polanski et Higelin dans une poignée de vers, celui qui posait en tee-shirt Jefferson Airplane sous sa vieille veste en jean. Celui, surtout, dont les mots, les silhouettes et les visages familiers arpentaient les rues de son propre quartier : de Barbès à la place de Clichy, de la rue Clignancourt à la place des Abbesses, de Rochechouart à la Goutte d’or. Dans ses chansons, il rêvait de New York et de Manhattan, mais il était de Paris. De Paris 75. Il chantait si bien cette ville : ses nuits, ses petits riens, ses passagers clandestins.
On lui avait dit aussi qu’il lui ressemblait. C’était surtout la pochette de Respirer, chanter... qui leur avait fait affirmer cela. La barbe sans doute.
On trouve de ces ressemblances parfois... Ceci dit, depuis qu’il avait coupé ses cheveux, c’était quand même beaucoup moins net. Dommage. La comparaison était plutôt flatteuse. Cette pochette d’un disque paru alors que lui ne marchait même pas encore, elle l’avait surtout conforté dans le sentiment que certaines de ces chansons lui parlaient directement, tout bas dans le creux de son oreille. Elles étaient à lui. Il aurait aimé y vivre. "Raconte toi", lui intimaient-elles doucement...
Puis il y eut les années 80, quand le chanteur changea de vie pour devenir écrivain, chantre du mitterrandisme et intellectuel de salon. Moins rock’n’roll a priori. D’ailleurs, il arrêta de se produire sur scène et chroniqua souvent à Libé.
Il lui conservait toutefois toute son affection. Et quand, bien des années plus tard, un certain Julien Baer sortit son premier album, il entendit dedans tout ce qui le fascinait tant dans ces vieux vinyles achetés à dix francs chez Boulinier. Même timbre de voix, mêmes arrangements seventies mais enrichis de sonorités soul que son héros de Barbès avait, lui, peu explorées. La relève était prête. Le public suivit peu.
Enfin, il y avait cette chanson. A une époque où Zelda évoquait bi
en plus un jeu vidéo que la femme tragique de Francis Scott Fitzgerald, il se serait bien vu baptiser sa fille de ce beau prénom. Las ! Avant que l’éventualité se présente, celle qui fumait des Gauloises bleues avait changé de peau dans sa nuit américaine.
Alors, il jouait certains morceaux à la guitare, il y revenait souvent. Il avait tout de même encore un peu de mal avec les arpèges de Raconte toi

Yves Simon, lui, avait finalement sorti un disque décevant à la fin des années 90. Un objet trop chic, trop clinquant, à la production déjà démodée. On avait dit ensuite qu’il devait tourner un long métrage avec une belle actrice à la voix rauque. Trente ans plus tôt, il chantait "la Dorléac". A l’orée du siècle, il devait filmer "la Mouglalis". Rien ne vint. Jusqu’à ces jours-ci… *




* Le nouveau disque d’Yves Simon s’intitule Rumeurs. Il est sorti le 1er octobre.


Bonus Tracks :

free music
Partager cet article
Repost0
30 septembre 2007 7 30 /09 /septembre /2007 15:28


S'il y a un truc émouvant avec les vinyles et les cassettes audio, c’est leur vulnérabilité.
Ces sillons comme des rides en lesquels lire le passage du temps, les écoutes renouvelées.
Ces bandes magnétiques qui se déroulent, figurant très précisément la place où est inscrite la musique. On y voyait presque les notes, les harmonies, les larsens. Tout comme, lorsqu’on la déroule, une pellicule de film révèle, exposée à la lumière, les images qu’elle emprisonne. Un par un, l’un après l’autre, les photogrammes figés ne demandant qu’à s’animer.
La bande magnétique qui s’entortille, le disque qui craque, tressaute, tu en serais difficilement nostalgique. Mais reconnais que le CD est singulièrement dépourvu des petits défauts qui rendent si touchants ces supports qu’à l’ère de la musique dématérialisée on taxera poliment de "désuets".
Je ne parlerai pas ici de l’objet, du toucher, du rapport physique à la musique, des pochettes se déployant dans les grandes largeurs, encore moins des qualités sonores comparées des vinyles et des CD. Je laisserai ces considérations aux musicologues, aux esthètes et aux nostalgiques arpenteurs de brocantes. J’éviterai aussi d’épiloguer sur les dérives commerciales nous permettant aujourd’hui d’acquérir de vilains cadres spécialement conçus pour faire trôner nos 33 tours d’adolescents, émasculés dans nos salons de "bobos"…
Les disques sont faits pour être usés, pas pour être exposés.


Avant, donc, on se faisait des cassettes. Cela pouvait être un geste amoureux.
Tu te souviens d’un temps où réaliser une compilation prenait du temps, où tu devais surveiller la cassette, couper le morceau au bon moment, faire gaffe à l’amorce de la bande, tant de joyeusetés dont le numérique te permet – loué soit-il ! – de faire l’économie. Mais, du coup, le geste n’a plus rien à voir.
Moi, j’aime bien cette longue séquence du film Elisabethtown ponctuée par une floppée de chansons que Kirsten Dunst a agencées sur des CD en fonction du trajet en voiture que doit y faire Orlando Bloom. S’ouvre alors une brèche narrative, digression aussi gratuite qu’illogique, où le réalisateur Cameron Crowe – que tu sais grand amateur de rock – se permet de convier le spectateur à écouter quelques morceaux qu’il chérit. Comme si Elisabethtown n’existait que pour cette séquence de fan. Dans le film, c’est très théorique, c’est un peu lourd. Chaque chanson doit être écoutée en un lieu précis du périple. Mais c’est aussi très beau, comment, dans cette œuvre assez formatée, les chansons, soudain, viennent se substituer au scénario. Pourtant, je me dis que ce serait encore plus beau si Cameron Crowe – comme lorsqu’il écrit Presque célèbre ou qu’il place le Freebird
de Lynyrd Skynyrd au cœur d’une des plus jolies scènes d’Elisabethtown – acceptait de n’être pas de son temps (tous les morceaux de pop seventies nourrie d’americana qu’il choisit pour accompagner la séquence en attestent). Choisir le CD gravé contre la musicassette enregistrée atténue malheureusement la portée du geste sentimental de son héroïne. Surtout quand il s’agit de filmer une séquence fantasmatique de road movie à l’intérieur d’un film qui n’en est pas un. Car la cassette a définitivement à voir avec la route. Tandis qu’elle se déroule, le CD tourne sur lui-même, fait du sur-place. La nuance est d’importance, tu ne crois pas ?
Qu’est-ce donc alors aujourd’hui qu’offrir une compilation-maison quand une poignée de minutes et quelques glissés de souris suffisent à la création d’un CD ? La "mixtape" supposait du temps réel, limitait le droit à l’erreur, toutes choses paraissant obsolètes à l’heure du numérique et de la musique virtuelle. Le terme perdure mais ne désigne plus la même chose. Le geste, donc, a changé. Il a perdu de son caractère laborieux. Dans les années 80, au début des années 90, pour conquérir les filles, on avait le choix : leur jouer un morceau à la guitare (quand on avait une guitare) ou leur faire une cassette (c’était généralement plus simple). En ce temps-là, t’en rappelles-tu, point de dossiers et de répertoires gavés de mp3 bien classés. Parfois même, on devait enregistrer des titres, en direct, à la radio !
Ainsi, dans la compilation d’amoureux, il y avait la sélection que tu faisais en passant en revue tes disques, mais il en allait surtout de la sueur de l’assemblage, de ce moment de temps réel où la musique se déroulait sans tricherie pour que tu arrives, enfin, au bout de 60 ou de 90 minutes d’extrême concentration, à l’objet idéal : cette cassette qui peut-être allait ponctuer les étapes d’une histoire d’amour naissante et forcément prometteuse.


La cassette a cette valeur sentimentale que le CD ne lui a jamais ravie. Le Mini-Disc aurait pu, peut-être. Il renouait avec l’utilisation que tu avais jadis de la cassette, à un moment où tu ne gravais pas encore les CD comme tu le fais aujourd’hui. Mais le MD arrivait bel et bien dans l’ère numérique. Le temps de l’enregistrement – compressé – déjà, n’était plus le même. Celui de la lecture non plus. De fait, on zappe moins facilement un morceau sur une cassette : tous comptent…
Il y a ce bouquin de Charles Berbérian que j’aime bien. Playlist, il s’appelle. Le dessinateur y montre ses MD "customisés", leurs livrets ou leurs étiquettes illustrés par ses soins. La réappropriation du support y est salutaire, elle fait de chaque disque un objet unique. Un peu comme dans ce livre que tu as trouvé à Barcelone au printemps dernier, celui dans lequel étaient photographiées des centaines de cassettes enregistrées décorées par leurs utilisateurs. En feuilletant ces deux livres, on avait qu’une envie : faire de même avec nos CD, ressortir nos vieilles cassettes de la caisse où elle s'entassent et leur offrir, à coups de feutres, une cure de jouvence.
Las ! Comme le CD, le MD, même agrémenté des dessins de Berbérian, est un objet définitivement lisse. Encore plus même. Tu ne peux même pas y laisser de moches traces de doigts gras, c’est dire ! Le MD est froid, se tient à distance. Il ne te dit rien, se planque, galette sphérique tenue à l’abri de tout contact, emprisonnée qu’elle est dans sa coque carrée et plastifiée.
Le MD n’a pas de regard. Il ne nous fixe pas, comme le faisait la musicassette, avec ses deux trous béants dans lesquels s’embobinait le dérouleur du magnétophone ou du walkman. Le MD et le CD sont aveugles, la cassette nous regardait. Elle nous disait toujours où elle en était : rembobinée, à moitié déroulé, chiffonnée, elle ne pouvait rien nous cacher. Et puis lors des longs trajets en voiture, quand le walkman devenait notre meilleur ami, les mètres de bande se déroulant dans nos oreilles résonnaient en écho avec les kilomètres parcourus. Aujourd’hui, le baladeur numérique – qui fait de la musique une pure abstraction, qui navigue à son gré parmi des milliers de chansons – abolit la distance et le temps. Il est un peu à l’avion ce que la musicassette est à la voiture et au road movie.


Surtout, le CD ou le fichier numérique, on ne peut pas les filmer. Souviens-toi de cette image récurrente au cinéma du diamant se posant sur un vinyle. De Presque célèbre à Interstella 5555 en passant par Control, il y a tant de films que tu aimes où est magnifié ce geste pourtant quotidien de "mettre un disque". Ce geste-là, on le filme beaucoup moins depuis quelques années. Et puis, franchement, même s'il ne s'agit pas là de musique, Snake Plissken déroulant la bande magnétique de la cassette à la toute fin de New York 1997, ça a tout de même plus de gueule que de faire glisser un fichier informatique dans une corbeille virtuelle, non ?
Du coup, je me dis que le faisceau laser, clinique et scientifique, n'a vraiment pas les moyens de rivaliser avec le sex-appeal de la cassette et du vinyle. Quand le CD adepte du safe sex fraye à distance avec la musique, on n’oublie pas que le diamant du tourne-disque parcourait le microsillon par contact direct. Parcourus d'électricité statique, lequel des deux frissonnait le plus au moment où ils se touchaient ? Te souviens-tu aussi que, parfois, le trou situé au milieu du 33 tours était mal proportionné, qu’il fallait forcer un peu… De la compilation à la copulation, une voyelle et une consonne. Une face A et une face B. Prendre (le disque), (le) retourner.
L’analogique comme programme érotique, alors ?


Partager cet article
Repost0
20 septembre 2007 4 20 /09 /septembre /2007 20:27


- Tu ne monteras pas sur scène avec ce chapeau sur la tête. C’est hors de question.
- Je ne joue pas du rock pour m’exhiber en tee-shirt informe. Il faut être « bigger than life », mec ! Faut faire rêver les filles !
- Commence donc par les faire danser. Et puis, quoi, qu’est-ce qu’il a mon tee-shirt ?
- Eh ! bien, comment dire… Avec ce truc sur les épaules, t’es aussi mal fringué que Clapton dans les années 80. Il ne te manque que ses pantalons à pinces.
- Lui, au moins, il a écrit Layla. Toi, avec ton chapeau, t’as surtout l’air d’avoir été déterré d’un groupe de hard seventies complètement moisi.
- Et alors, c’est pas toi qui tient Child in Time pour la plus grande chanson jamais écrite ?
- Je n’ai jamais dit ça.
- Tu veux que je rase ma barbe aussi, tant que tu y es ?
- Puisque tu en parles…
- Va te faire foutre !
- En tous cas, on n’est pas au cirque, alors ta panoplie de Monsieur Loyal tu l’oublies !
- Tu préfères les tee-shirts Ramones de Julien ? Super original, ça. Tout juste imprimés pour les kids du 21e siècle avides de pseudo-vintage et de rock’n’roll attitude…
- Tu cites Johnny dans le texte maintenant ? De mieux en mieux… Julien, il fait ce qu’il veut. Derrière sa batterie, on ne le voit pas, il peut même jouer en slip… Toi, c’est différent…
- Ah ! Nous y voilà. Un bassiste ne devrait jamais piquer de sa lumière au chanteur, c’est ça ? Toi, tu n’as jamais pensé que tu pouvais un peu arranger ton look ? Si le rock n’est pas fait pour se saper et pour se la jouer, qu’est-ce qu’on fout là ?
- La neutralité de mon apparence est un programme politique.
- Un programme politique ? Rien que ça ! Qu’est-ce qu’il exprime ton tee-shirt XXL si ce n’est que t’as un goût de chiottes et que tu arranges les couleurs aussi bien que Stevie Wonder. Et puis tes pompes, elles sont politiquement correctes peut-être ?
- Ces chaussures, je n’ai pas attendu que les Strokes les remettent à la mode pour les porter, moi !
- Tu devrais faire un peu gaffe. Notre public n’attend pas que tu te pointes sur scène fagoté comme si tu sortais du lit. Le grunge est mort il y a quinze ans. Regarde les mômes au premier rang, ils ont plutôt l’air de minets que de bûcherons hirsutes. Savamment décoiffés, bien rasés, tout proprets, ils sentent la savonnette et le gel capillaire !
- T’as vu comment a fini Brian Jones ? C’était le meilleur guitariste des Stones et à force de se pomponner, de se détourner de l’essentiel, c’est Keith, le tâcheron, celui qui n’arrivait jamais à rentrer le moindre plan, qui l’a supplanté. Brian, ils l’ont viré, et tout de suite après, il est mort. On doit d’abord penser à nos compos.
- Je ne joue pas dans Sticky Feet pour ressembler à Monsieur Tout-le-monde.
- Moi, je m’en fous : si j’avais voulu faire des défilés, j’aurais fait top model !
- Top model ? Mais t’as vu ta tronche ?
- Tu ne comprendras donc jamais que ça n’a plus aucun sens de se fringuer comme Hendrix aujourd’hui ?
- Et Fancy ? L’autre soir, à l’aftershow, il m’a bien semblé que tu me disais que leur style était incroyable…
- C’est leur truc, pas le mien.
- Et Devendra, tu l’aimes bien pourtant…
- C’est sa musique que j’aime. Point.
- Tu mens. Tu rêverais de mettre du kohl, comme lui, mais tu n’oses pas.
- Je serais ridicule. Je laisse ça aux connards commerciaux qui passent à la radio. Tu veux jouer avec une guitare saupoudrée de strass comme Matthew Bellamy, toi ? Très peu pour moi. Nous, on n’est pas là pour faire mouiller les petites filles.
- On n’est pas non plus dans la rue, mec. On est sur scène. On vend des milliers de disques, on peut faire ce qu’on veut, porter tous les masques, tous les costumes qui nous font kiffer. Il faut en profiter.
- I’m not like everybody else, c’est ça ?
- C’est ça, sans doute…
- Bon, écoute, tu fais comme tu veux pour cette fois. De toutes façons, ce festival est pourri. Ils n'ont pas d'écran géant et la télé n’est même pas là. Mais à l’heure où on passe on va se retrouver en plein soleil, comme hier. Toi, tu vas crever de chaud sous ton chapeau…
- Oui peut-être, je ne sais pas… Au pire, je le balance aux premiers rangs après le premier morceau.
- Pour le racheter ensuite sur eBay, comme l'autre fois ?
- J'y tenais en fait, je m'en suis souvenu après. J'avais pas réfléchi. C'était un cadeau de...
- Ne me parle pas d'elle, merci !
- (...) Tu gardes ton cuir, toi ?
- Non, je crois que je vais jouer en pantacourt.
- Et on va te confondre avec l'autre crétin du groupe de ska qui est passé tout à l’heure ! Et merde, je n'en peux plus de cette tournée. Quand est-ce qu’on retourne en studio, déjà ?


Partager cet article
Repost0
11 septembre 2007 2 11 /09 /septembre /2007 20:15
Il y a six ans jour pour jour, je me rendais, au sortir du travail, dans un magasin dit "de produits culturels" pour acquérir le nouvel album d’un groupe français depuis tristement silencieux.
Une poignée d’heures plus tôt – de la bouche d’un collègue puis de celles, proliférantes et affolées, d’Internet, de la radio, de la télé – j’apprenais qu’à New York deux avions venaient de… Enfin, vous connaissez l’histoire…

Ce soir-là, on avait plutôt envie de vite rentrer chez soi, de ne pas braver trop longtemps la gueule fumante de transports en commun soudain redevenus menaçants, encore moins de s’attarder dans un lieu public pourvoyeur de déflagrations soniques et de musiques amplifiées.

Oui mais voilà, Des visages des figures arrivait juste dans les bacs tandis que Manhattan se réveillait défigurée. La planète pouvait s’arrêter de tourner, les plus noirs desseins se réaliser, l’album tant désiré était à portée de main. Je me souviens de ce soir-là, des dix minutes de marche, cotonneuses, étrangement irréelles, jusqu’à la gare Saint-Lazare, de l'entrée craintive dans le magasin, du passage express en caisse, de la découverte, un peu plus tard, dans les journaux télévisés, d’images d’effondrement diffusées en boucle, de l’horreur de ces corps tombant, bravant la pesanteur. Je me souviens avoir pleuré. Je me souviens moins bien, forcément, de la découverte du disque. Mais je sais l’avoir écouté le soir-même.
On se rappelle bien entendu que l’album avait été en partie enregistré à New York par Nick Sansano et surtout que le deuxième morceau portait un titre prémonitoire. S’y déployait un champ sémantique où s'entrechoquaient des mots aussi opportuns en cette funeste soirée que "feu", "incendie", "sirènes", "pompier" ou "explosion". Pour moi, d’emblée – et indépendamment de ce qui se passait en Amérique – ces accords basiques et heurtés, ce chant presque parlé, haranguant l'auditeur, rappelaient furieusement ceux du Paris New York, New York Paris d’Higelin. En deux chansons, un raccourci textuel autant que spatial.

Yves Simon rêvait New York. Soudain, on le cauchemardait. On a ensuite beaucoup glosé sur ce titre – pas le meilleur du groupe d’ailleurs – sur ces paroles qu’une paresse lexicale m’inciterait à qualifier d’ "incendiaires".

C’était il y a six ans. C'était un mardi.

Soyons désinvoltes, n’ayons l’air de rien.
 
 
 
 
Partager cet article
Repost0
6 septembre 2007 4 06 /09 /septembre /2007 01:12


Dans cette discothèque à Dublin, c’était la même impression qu’au pub quelques heures plus tôt. Une sensation physique pourtant familière se formalisait soudain avec des mots. Dans toutes les boites, dans les bars, les salles des fêtes, les concerts – sitôt que la danse voisinait avec le débit de boisson – revenait inlassablement ce constat. 

On maudit toujours ceux qui nous bousculent quand on tente de se frayer un chemin dans la foule, gobelets à la main, démarche titubante. On pense moins souvent à ce qu’il advient du contenu de ces verres renversés bien après qu’ils aient éclaboussé le sol. Passée une certaine heure, la pellicule poisseuse recouvrant le parterre provoque crissements de Converse et gargouillis de semelles pour nous rappeler les décilitres gaspillés. Si ça ne glisse pas, ça colle. Et les meilleurs morceaux ont beau vriller nos tympans, on ne pense plus qu’à ça. Nos pieds toujours s’engluent au sol détrempé de sueur et de liquides divers. 

« J’ai les pieds qui collent », lui dis-je donc tandis que, se dandinant en rythme, il réfléchissait surtout à la meilleure manière d’aborder celle qu’il dévorait des yeux depuis le début de la nuit.
Les pieds qui collent... Sticky Feet... Ce fut pour nous deux comme une illumination.
C’était parfait. Tout le monde comprendrait. Pas d’article surtout. Marre des groupes en « The » ! C’était le nom idéal pour celui que nous n’avions pas encore formé. Une évidence. Un peu comme trouver d’une seule voix tout au fond de la couette le nom d'un enfant même pas encore conçu…
C’était plutôt amusant de surcroît. Il y avait dans cette dénomination une allusion involontaire à un album des Rolling Stones. Pas le pire d’ailleurs. Mais se planquait aussi dans un recoin de la trouvaille le risque de la voir détournée en un « Stinky Feet » malveillant et bien puant. Pourtant, Sticky Feet, ça collait, ça fleurait bon le riff sauvage et les amplis à fracasser.
Tandis que le DJ balançait un incongru Dancing in the Dark, j’en conclus que même si la guitare ce n’était pas encore ça et que même si par malheur personne ne voulait jouer avec moi, j’avais au moins trouvé le nom de mon groupe. Plus qu’une consolation, c’était une promesse.

***

En rentrant à Paris quelques jours plus tard, me vint vite l’idée funeste de vérifier que le nom n’était pas déjà pris. Google goguenard me signifia alors qu’un combo alsacien m’avait piqué cette idée que je croyais toute neuve trois ans auparavant et qu’accessoirement la marque Sticky Feet désignait aussi, crus-je comprendre, une sorte de cire que de vagues surfeurs se foutaient sous les pieds en Australie. 

Ainsi le nom idéal m’était confisqué : je décidai alors, résolu, de ne jamais former de groupe de rock. 

Enfin, je me disais ça jusqu’à hier matin, quand le nom de la première petite amie de Bob Dylan tomba des pages que lui consacre François Bon dans son livre.
Echo Star, s’appelait-elle. Echo Star Halstrom plus précisément. « Echo parce que venue tard après une sœur plus âgée, et Star parce que la nuit de sa naissance le givre sur la fenêtre dessinait de belles constellations », m’apprit l’auteur de Daewoo à 9h45 dans le RER.

Cette fois-ci, je ne suis pas allé voir sur la toile si des rockers du bout du monde avaient fait d’elle leur muse ou si des musiciens chantant français avaient souillé son patronyme rêveur pour le prix d’un bon mot. Mais faute de groupe à baptiser, j’ai simplement surnommé l’électro-acoustique accueillie le jour même à la maison de son joli patronyme.

 

 

Partager cet article
Repost0
20 juillet 2007 5 20 /07 /juillet /2007 22:19


Il était ridicule. Il le savait. Elle ne le lui disait pas mais il le lisait dans ses yeux. Il avait bien noté la moue qui avait barré son visage la première fois qu’il avait mentionné la cape. Pourtant, il allait le faire avant de disparaître à nouveau. Elle ne pouvait pas comprendre : c’était sa revanche. Ils avaient voulu son retour. Ils en auraient pour leur argent. Depuis quatre mois, le mythe paradoxal – celui que l’absence avait érigé et entretenu – était mort. Il avait rejoint le troupeau des has been. Il se savait pathétique, au fond, alors autant massacrer ce retour avec panache. Puisqu’il ne pouvait plus se planquer derrière son image, il allait s’y vautrer dans cette vulgarité de saison.
Il n’était plus l’heure de tergiverser. Le Président souhaitait se hisser dans l’intimité des stars. C’était lui-même un people, plus à sa place sous la lumière des projecteurs que dans l’ombre des tractations diplomatiques. Il en était lui aussi à signer des autographes, alors autant le contenter, lui montrer surtout qui, des deux, était la vraie star. Quitte à casser cette image de type apolitique qu’il se trimballait depuis si longtemps.
Il jouait avec le feu, il s’en doutait. L'autre avait même voulu donner son avis sur la setlist du concert. Ce type ne manquait pas d’air. Il n’avait jamais vu ça. Mais il était demeuré si longtemps dans l’ombre, il avait été si souvent donné pour mort qu’il n’avait rien dit. L’occasion était trop belle. Il ne devait pas la gâcher. On avait même obtenu que le concert soit retransmis en direct sur une chaîne hertzienne, sans la moindre coupure publicitaire. Ils voulaient des tubes, ces cons, il allait leur en donner. Des « gold » à la pelle, rien que ça. Ça valait bien un feu d’artifice.
Ajustant sa cape devant le miroir, il vit, l’espace d’un instant dans le reflet, le frêle jeune homme qui grattait quarante ans plus tôt sa guitare sur les marches de Montmartre. Il tressaillit, remit ses lunettes, arrangea ses cheveux, ça allait mieux. Ses fans lui pardonneraient, ils lui pardonnaient tout. Il suffisait de lire les encouragements sur son site. Il n’avait même plus besoin de bidonner les commentaires dans le forum, l’hypnose collective était totale. Ceux qui pensaient qu’il n’avait jamais été aussi bon qu’avant 1973 n’avaient jamais rien compris. D’ailleurs, sans doute n’étaient-ils même pas nés alors…
Un 14 juillet. Le symbole était trop beau. Il l’avait tellement dit qu’il voulait faire de son retour un événement, qu’il voulait jouer là où personne n’avait jamais chanté. Les rumeurs les plus folles avaient circulé. Et le jour J, au début du mois de mars, personne n’avait relevé à quel point revenir dans cette immense salle polyvalente du douzième arrondissement jurait avec l’image qu’il s’était ingénié à bâtir depuis tant d’années.
Cette fois-ci, c’était encore un peu raté, il ne serait pas le premier à chanter là, mais quand même, ça avait de la gueule. C’était autre chose que ces interchangeables Zéniths de province où se mélangeaient les souvenirs depuis de si longues semaines. Revenir là, face à la Tour Eiffel, pour effacer trente années d’exil, pour vaincre cette peur tenace qui lui avait bouffé tant d’années de créativité, il aurait dû jubiler. Revenir en conquérant, entrer en scène sur les trois accords merdiques qui l’avaient rendu outrageusement célèbre, c’était sa piteuse revanche. Quand il montrait son cul sur une affiche ou une érection magnifique planquée sous un chapeau au début des années 70, il faisait scandale. Mais ce jour-là, en passant sur ses épaules la cape aux couleurs de son pays, il savait bien que le geste était dérisoire, qu’il avait rejoint les rangs de la normalité et que le beatnik qu’il chantait jadis lui aurait désormais craché à la gueule.
Il le lui rendait bien d’ailleurs.
Cette cape, elle avait quand même un avantage : elle dissimulait l’embonpoint qu’il ne réussissait plus à dompter. Il se demanda s’il la garderait pendant tout le show. Impossible : au piano, elle le gênerait, elle risquerait d’entraver ses mouvements.
Il sentait qu’il abdiquait, que quelque chose, avec son retour, s’était définitivement brisé. Peut-être aurait-il dû annuler au dernier moment, afin de raviver le mystère, afin d’être à nouveau raccord avec l’image et les rumeurs véhiculées depuis si longtemps. Tant d’esprits chagrins avaient prédit qu’il ne viendrait pas. Il ne pouvait pas leur donner raison. Cette fois, il aurait tout perdu. Elle y compris.
Donc il était venu. Et désormais, il enquillait les dates. Contre toute attente, la tournée marchait tellement bien que les directeurs artistiques de la maison de disques se contrefoutaient désormais de ses nouveaux morceaux. C’était même devenu un sujet embarrassant. Avec les journalistes aussi. Il sentait bien que tous avaient plutôt envie de l’enfermer dans une tournée sans fin où, tel un forçat de la variété française, il ne cesserait de chanter les mêmes chansons, ses « plus grands succès ». Ad libitum. Jusqu’à la nausée.
Le freluquet à la guitare sèche avait envie de vomir. Le sexagénaire musculeux rajusta ses lunettes. Au moins, ça lui évitait de se regarder dans le blanc des yeux.
En posant sur la table sa carte toute neuve de ce nouveau parti politique, il eut l’idée d’un bon mot. Il n’allait pas lui souhaiter bonne chance, il allait lui dire « merde » au Président. Ça, c’était fort. Subversif, juste comme il faut…


Deux heures plus tard, lorsque le chanteur souhaita au président nouvellement élu d’emmener les Français au Paradis « de leur vivant », l’ex fan des sixties saisit la télécommande et éteignit rageusement le téléviseur. Il resta quelques instant immobile, suspendu entre colère et stupéfaction. Puis il se leva lentement de son fauteuil et s’approcha de l’étagère garnie de plusieurs centaines de 33 tours. Ils étaient tous là. Vestiges d’une jeunesse vécue dans l’adoration de la pop anglaise et de dimanches récents gâchés aux Puces, dans les conventions de disques et dans tant de brocantes. Son regard glissa jusqu’aux albums rangés à la lettre P, juste avant la série des Procol Harum. Il effleura l’enregistrement de 73, celui où le chanteur posait au verso assis dans une rue de New York. Pour la première fois, rien au monde ne l’aurait décidé à placer ce disque-là sur la platine. Par la fenêtre, il voyait les éclats du feu d’artifice se découper dans le ciel. Décidément, il était temps de passer à autre chose.

 

Partager cet article
Repost0

7and7is : les livres

Recherche Sur 7And7Is

Archives Récentes

Articles Récents

  • Jacques Higelin (6 avril 2018...)
    Quitte à passer pour un monomaniaque springsteenien, on pourrait commencer par écrire, volontairement hors-sujet, que quiconque n'a jamais vu sur scène Jacques Higelin ne peut comprendre la ferveur, la fidélité animant son public, et la générosité qu’il...
  • Christine, le retour (... de John Carpenter)
    Video directed by John Carpenter. The theme for "Christine" is available as a part of John Carpenter's 'Anthology: Movie Themes 1974-1998,' out October 20 on Sacred Bones Records. Preorder: http://hyperurl.co/Anthology Director: John Carpenter Producer:...
  • Souvenirs de Twin Peaks
    Année scolaire 1990/91. Elle commence par un film, elle finit par une série. Je suis au lycée, en première. Cette année scolaire-là, ça ne trompe pas, je rencontre deux amis qui comptent encore aujourd'hui parmi mes plus chers. Et par ricochet deux autres,...
  • Dans le viseur de John McTiernan
    A cat, a sniper... What could possibly go wrong? Watch the new Tom Clancy's Ghost Recon Wildlands Live action trailer. Available on March 7th, 2017 on PS4, XBOX ONE and PC Register for the Beta on http://www.ghostrecon.com/betacat and be the first to...
  • La basse de Simon Gallup et autres considérations...
    Quelques souvenirs épars du concert de The Cure à l'Accor Hotel Arena mardi 15 novembre... La basse de Simon Gallup (dont le nom aux sonorités élastiques le définit si bien) qui, sur un Primary nerveux, fait vraiment trembler l’Accor Hotel Arena... Friday...
  • Sur une réouverture...
    Ainsi, on l’a appris ce matin, Sting jouera le 12 novembre, veille de la date-anniversaire que l’on sait, au Bataclan. Sting, c’est bien, c’est un symbole fort, un artiste « populaire », une star, l’ancien leader de... Police (ce qui, ironiquement, devrait...
  • Tim Burton, celui qui se souvient de ses vies antérieures
    À propos de Miss Peregrine et les enfants particuliers, de Tim Burton À défaut d’être un grand film (il n’en a pas signé depuis vingt ans, n’en signera sans doute plus), le nouveau Tim Burton est, une fois n’est pas coutume, un objet passionnant, paradoxal,...
  • City Lights de Michel Gondry, Eloge de la candeur
    A propos de City Lights, un clip de Michel Gondry pour The White Stripes Quand on regarde le nouveau clip de Michel Gondry réalisé pour les White Stripes (ou plutôt, pour être juste, pour l’album rétrospectif et acoustique de Jack White, sorti la semaine...
  • Bruce Springsteen & the E Street Band, Accor Hotel Arena, 11/07/2016
    C’est à croire qu’il se passera presque toujours quelque chose d’exceptionnel à un concert de Bruce Springsteen avec le E Street Band, un truc singulier qui fera qu’on s’en souviendra très précisément à chaque fois. En 2003, au Stade de France, c’était...
  • Y retourner...
    Je sais, on ne se parlait plus trop ces derniers temps. Mais hier soir, il faut que je vous dise, je suis retourné à un concert. Un concert sans interruption, sans balles qui claquent et sans odeur de poudre. Et si mes oreilles ont sifflé encore un peu...