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4 mars 2013 1 04 /03 /mars /2013 10:34

frankenweenie-tim-burton 4dtyd 1ts0j8La sortie en DVD et Blu-ray du réjouissant Frankenweenie de Tim Burton le 1er mars nous donne l’occasion de revenir à la fois sur ce long métrage et sur le court (opportunément proposé en bonus) qui l’a inspiré. L’occasion aussi, pour nous, de nous réconcilier – un temps, du moins – avec un cinéaste que l’on avait tant aimé… il y a trop longtemps…

 

 

On fait partie de ceux (à quarante ans, ce n’est pas très original) dont la cinéphilie s’est affirmée avec les premiers films de Tim Burton, de ceux aussi qui, depuis quinze ans (depuis Sleepy Hollow, précisément), déplorent la pente inexorable sur laquelle s’est engagé son cinéma. On peut ainsi avoir été durablement marqué par Edward aux mains d’argent, par les deux Batman, par Ed Wood ou par Mars Attacks ! et ne pas aimer ce que Tim Burton est devenu : une marque, un logo, le pourvoyeur d’un “univers” en kit, copié, vampirisé, singé et dénué désormais de tout ce qui, de 1982 à 1996, fit son charme et son indéniable originalité.


Pourtant, ces deux dernières années, les choses parurent commencer à changer. Il y eut cette exposition qui fit escale l’an dernier à la Cinémathèque française et qui révéla, dans les creux des films (devenus comme accessoires), l’activité créatrice forcenée (maladive ?) d’un cinéaste/dessinateur qu’on commençait à tort à ne plus imaginer qu’en cynique entrepreneur de son propre imaginaire. Expo au succès fantastique qui, à Paris du moins, mit aussi en lumière le statut absolument inédit de Burton pour un cinéaste : celui d’une véritable rock-star, adulée, attendue, vénérée, provoquant file d’attente monstrueuse et mini-émeute pour une séance de dédicaces. Chose absolument incompréhensible, anachronique, quand on prend conscience que la plupart des fans actuels de Burton n’étaient même pas nés lorsque sortit Beetlejuice, mais chose plutôt rassurante en ce qu’elle confirme que ses œuvres les plus belles perdurent dans le temps. Incompréhension, surtout, car on n’imagine pas que l’on puisse tomber amoureux du cinéma de Tim Burton après avoir vu, mettons, Charlie et la chocolaterie, Les noces funèbres ou Alice au pays des merveilles. Mais qui sait...


Et puis il y eut Dark Shadows en mai 2012 et l’espoir fou, quand on en découvrit la bande-annonce, de voir le cinéaste renouer avec la verve bouffonne et goguenarde de ses deux premiers longs métrages (Pee Wee Big Adventure et Beetlejuice). On déchanta vite, malgré le retour de Michelle Pfeiffer (sa Catwoman, notre Selina Kyles) devant son objectif. La faute à un scénario paresseux et prévisible, la faute à un gâchis de seconds rôles sous-écrits. Pourtant, si Dark Shadows était décevant, on préférait mille fois voir Burton et Johnny Depp (plutôt sobre cette fois-ci) lorgner de ce côté-là du fantastique plutôt que les voir s’aventurer, sous contrat, “de l’autre côté du miroir” (Alice au pays des merveilles, 2010). D’autant plus que, dans la foulée, le cinéaste peaufinait la version longue d’un court métrage qu’il réalisa, pour Disney, en 1984, Frankenweenie donc. Son deuxième chef-d’œuvre, rien de moins, après le bref mais si sublime Vincent (ici). Quelque chose se tramait, semblait-il. Et quitte à recycler, perçait l’envie de revenir aux bases, aux vraies. Si la perspective de refaire en animation en volumes (et en 3D) un film en prises de vues réelles nous laissait quand même circonspect, le casting de voix annoncé – de Winona Ryder à Martin Landau, en passant par Martin Short et Catherine O’Hara – confirmait à quel point, au-delà du projet-même d’un remake pressenti inutile, le cinéaste entendait renouer avec des comédiens associés à la période la plus enthousiasmante de sa carrière.


frankenweenie_2012-2.jpgDe fait, Frankenweenie 2012, c’est du Burton tout craché (comme presque toujours, donc), mais avec, enfin, quelque chose en plus, qu’on croyait perdu à jamais : la croyance, la grâce, le plaisir. Et au rayon habituel des références attendues, le bonheur d’en jouer plutôt que d’illustrer une énième fois son petit livre d’images gothiques avec application. En cela, Frankenweenie 2012 est un film affolant de santé, de vivacité, d’humour et d’invention visuelle quand le délétère Sleepy Hollow ressemblait, il y a quinze ans déjà, à une collection de fétiches, de figures, de masques et de scènes à faire. Confronter les sentiments ressentis à la vision des deux films, ce serait un peu, pour résumer, comme comparer la visite d’une fête foraine à celle d’un musée de cire. Cela peut sembler paradoxal quand l’enjeu de départ de Frankenweenie est la réanimation d’un corps mort (rappelons que les deux Frankenweenie sont des variations sur les Frankenstein de James Whale) mais, non content de donner vie à ses pantins par le truchement de l’animation image par image, Frankenweenie 2012 met aussi en abime une carrière inégale et redonne littéralement vie au cinéma sclérosé de Tim Burton. Il fallait donc en passer par là, par le retour à une histoire imaginée trente ans plus tôt et qui lui valut – pour le meilleur – d’être renvoyé de Disney ; ce studio qui a pourtant, mesurant ses erreurs passées, produit ses derniers films...


Si on ne voyait pas vraiment, a priori, en quoi le Frankenweenie de 1984 pouvait être amélioré, on redoutait surtout que le passage du temps et le recours à l’animation édulcorent le propos d’un court métrage trempant habilement dans la noirceur et l’expressionnisme la douce ambiance banlieusarde des mémorables productions Amblin de l’époque (E.T., Gremlins, Les Goonies, etc.). Il n’en est rien, heureusement, Burton réussissant même, après une première partie relativement fidèle à l’original, à justifier, sans le moindre effort et le plus naturellement du monde, son choix de l’animation. C’est le dernier mouvement du film, sa gigantesque foire au monstres, qui permet au Frankenweenie de 2012 d’exister à côté de celui de 1984, d’avoir sa propre nécessité. Loin de s’annuler, les deux films se complètent. Et si l’on peut écrire que (presque) tout Burton figurait déjà dans le court métrage (du voisinage inquisiteur au rejet du monstre qui ne veut qu’être aimé en passant par l’imagerie gothique), ce nouveau long, s’il n’apporte rien de fondamentalement neuf, n’enlève rien à l’œuvre du cinéaste. Cela faisait bien longtemps que ce n’était pas arrivé. Après tant de films en roue libre, le Burton de Frankenweenie paraît raccord avec celui, affable et souriant, qui décernait une Palme d’or inattendue à Oncle Boonmee en 2010. Pour un temps, pour un film, pour une fois, le cinéaste semble avoir su composer avec sa réputation encombrante, avec son univers devenu étouffant, avec ce qu’on attend de lui et ce que lui a envie de faire.


Reste que cela n’est peut-être qu’illusion, tant, à une telle échelle, on ne sait, pour un film d’animation ainsi manufacturé, où se situe le cinéaste, le directeur d’acteurs, ce qu’il y fait vraiment, ce qu’on lui doit. C’est là, sans doute, la vraie différence entre les deux versions de Frankenweenie. En 1984, c’était le film d’un jeune réalisateur ayant tout à prouver, en 2012, celui d’un cinéaste rentier qui ne veut plus décevoir. Après tout, on s’en fiche, on a envie d’y croire, de voir le cinéaste ressuscité là où peut-être il n’est plus. Et d’attendre à nouveau, tout de même, de bons films de sa part.

 

Stéphane Kahn

 

Tim Burton, Frankenweenie, Disney DVD, disponible en Blu-ray 3D, Blu-ray et DVD à partir du 1er mars.

 

 

 

Texte initialement publié sur le site de Bref, le magazine du court métrage : http://brefmagazine.com/

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23 février 2013 6 23 /02 /février /2013 21:25

Des blagues embarrassantes (sur la ministre, qu'on l'aime ou pas), une année de trop pour le maître de cérémonie (qu'on appréciait jadis), une vaste blague de trois heures où des comiques télé et des comédiens de stand up "jouent au cinéma", se donnent l'illusion d'en faire partie (du Cinéma) et contraignent les vrais comédiens (qu'on les aime ou pas) à s'abaisser, à jouer eux aussi des sketches qu'ils n'ont même pas écrits (Isabelle Carré, Lambert Wilson...).
Logique télévisuelle, inversion totale des valeurs, où le Cinéma est bouffé, vampirisé, tout le temps absent (comme, physiquement et assez significativement, Carax ou Haneke), où même les plutôt "bons films de cinéma pour la télé" (désignons là les films dignement "populaires" comme Cloclo ou Populaire) sont rejetés au profit d'un énième vaudeville qui avait, lui, bien sa place dans ce théâtre de faux-semblants du Châtelet. Et surtout, la morgue et le mépris affichés par les organisateurs quand un technicien (un gueux, donc, à leurs yeux) tente de faire entendre des préoccupations professionnelles ; préoccupations singulièrement absentes, tues ou auxquelles on fait allusion au fil de blagues sous contrôle (sur Maraval, sur Depardieu).
Cela quand toute l'équipe d'un cinéma municipal réputé et exemplaire (le Méliès à Montreuil) est en grève depuis un mois, quand un fonds d'aide régional (en Franche-Comté) est brutalement supprimé (celui qui soutint Louise Wimmer, César du premier long métrage, dont le réalisateur aurait pu profiter de sa tribune pour rappeler cette décision alarmante), quand une convention collective menace la diversité culturelle et tout un pan de la production (les films indépendants à petit budget, ceux que l'on ne voit pas ou peu aux César).
Et puis une "remettante" qui assène bêtement, sans sourciller, qu'"on fait des courts pour faire des longs". Et puis une "standing ovation" obscène car télécommandée (parce que l'actrice est octogénaire). Et puis soudain un peu d'amour du Cinéma qui se glisse dans les propos très pros mais apparemment humbles et sincères d'un acteur hollywoodien un peu has been mais toujours aussi attachant. Ils ont Costner, on a Debbouze, ça résume pas mal, non ? D'ailleurs, De Caunes et Hazanavicius ont loué "la classe" de l'acteur, comme si sa simple présence - opportune : il tournait en France - renvoyait, par opposition, à ce cinéma français en pathétique représentation hier soir un reflet bien cruel...


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3 janvier 2013 4 03 /01 /janvier /2013 12:19
Texte initialement publié sur le site de Bref, le magazine du court métrage

 

 

chapo_ppQuand on insère le DVD dans le lecteur, on a un peu peur. Peur que la beauté du film s’estompe du fait de le revoir. Peur que l’image du téléviseur altère la rêverie où nous plongea sa découverte en salle. Peur surtout que Holy Motors ne soit pas à la hauteur des émotions fulgurantes qui rythmèrent sa projection en mai, dans la Salle du Soixantième anniversaire, à Cannes, alors que l’on ne savait rien du film, alors que l’on ne faisait même pas partie des thuriféraires de Leos Carax. On redoutait de revoir Holy Motors, donc, car le prodige du film, son emprise sur nous – deux heures durant et plusieurs mois depuis – tint beaucoup à cela : au fait d’être constamment surpris, trimballé, de ne jamais savoir où le cinéaste nous emmènerait, en quoi, au détour du plan suivant, de la prochaine séquence, le film se transformerait. Il ne cessait de se déplier, rien ne pouvait le circonscrire, aucune théorie, aucun a priori. Le film était fou, inégal, baroque, et cela nous subjugua. Sans s’y attendre, on était – comme le chantait Gérard Manset dans une autre chanson que celle qu’utilisa Carax – « entré dans le rêve » dès les premières minutes ; et un cinéaste avait réussi le miracle – rare – de réenchanter littéralement notre regard de spectateur. Et le Cinéma peut-être, avec.
Pour nous, Holy Motors tenait de la plongée dans le vide, de l’expérience inédite, de celles que l’on a comptées ces dernières années sur les doigts d’une main (Tropical Malady, Gerry, Mulholland Drive, Inland Empire). Depuis, on a beaucoup écrit sur Holy Motors. Perdait-il de sa beauté, de son mystère, au fil des mots s’égrainant sur son compte ? Je ne sais pas. Probablement, oui. Je sais surtout que l’expérience éprouvée ce soir de mai fut unique, parente quand même de l’ébahissement qui me saisit quand Inland Empire m’égara dans une salle immense et désertée ou de la fascination de découvrir Gerry à Locarno, en 2002, bien avant qu’un distributeur règle les problèmes de droits qui, longtemps, bloquèrent la sortie du film.
Alors revenir sur le film, encore ? Oui, pourquoi pas. Pour éprouver cette émotion, pour voir ce qu’il en subsiste, pour mesurer surtout en quoi le film tient, en quoi son inachèvement, son opportunisme aussi désespéré que jusqu’au-boutiste le rendent toujours aussi beau. .

Holy Motors n’est pas un chef-d’œuvre, loin de là. Holy Motors est un accident. Un film fait « contre », en dépit de tout, à l’arrachée, « faute de mieux » peut-être. « Faute de mieux » sans doute (1). Un objet hybride indirectement nourri de mille projets avortés. Sa splendeur vient de là, dans cette chair qui y palpite, dans le désir désespéré qui l’habite, dans l’échec qu’il transcende : celui d’un cinéaste n’ayant pas tourné – ou si peu – depuis douze ans. Et obligé, en conséquence, d’envisager chaque film – il le dit lui-même – à la fois « comme le premier et comme le dernier ».
Faut-il vraiment en passer par là, par la biographie, pour aimer le film ? Holy Motors, dès ses premiers plans – où, littéralement, Carax lui-même se réveille dans une chambre d’hôtel jouxtant une salle de cinéma remplie de spectateurs hagards (nous ?) peut-être morts de l’attendre depuis trop longtemps – nous y invite sans ambiguïté. Le film procède par fragments, par éclats, par trouées, traversé par les mille vies de Monsieur Oscar. C’est surtout un film de désirs, de trop-pleins, où le cinéaste semble enfourner tout ce qui le travaille, tout ce qui plastiquement le stimule. Il y aura Marey et Lon Chaney. De la science-fiction et de l’accordéon. Manset et la Samaritaine. Des limousines et puis du spleen. Piccoli et aussi Kylie. Et puisqu’il faut bien faire tenir le tout ensemble, autant s’appuyer sur un fidèle (Denis Lavant) et bricoler autour des images et des séquences disparates une trame ostensiblement artificielle où se mêlent le vrai, le faux, la vérité et le mensonge, les frères Lumière et Méliès. C’est tout le mystère du Cinéma et des puissances de l’incarnation à l’écran – tout le sujet d’un film fait de rôles à jouer, d’identités doubles et de faux-semblants – que cela fonctionne et qu’au-delà du bricolage et des opportunités enfin saisies par un cinéaste qui ne peut plus tergiverser, la Grâce advienne et troue la toile de l’écran. (2)
Même si Carax s’y cite souvent et même si certaines figures, certains plans font écho aux quatre films qui précédèrent, Holy Motors – faux film à sketches – ne ressemble en rien aux autres longs métrages du cinéaste. Il n’est pas, loin de là, une compilation et il n’est pas à souhaiter non plus que son film suivant lui ressemble. Holy Motors est le film d’un moment. La somme de plusieurs rencontres (Kylie Minogue, Eva Mendes), de quelques dettes (filmer Edith Scob, coupée dans Les amants du Pont-Neuf), d’opportunités ratées (le projet Merde in USA) et sans doute aussi, il faut l’écrire, d’envies mal dégrossies. Avant tout – du moins la voit-on ainsi – une œuvre arrachée à la torpeur et à l’isolement. Et c’est cela, cela seul, qui la rend à nos yeux si bouleversante.

Stéphane Kahn

 

 

Holy Motors, DVD Potemkine, 19,99 euros, 22,99 en Blu-Ray.

 

 

(1) Dans les bonus du DVD, lors d’une rencontre filmée au Festival de Locarno, Leos Carax exprime en effet – sans pour autant verser dans un discours rétrograde – sa défiance pour le numérique, son peu de goût pour les petites caméras et son regret que l’image, avec de nouvelles techniques mal maîtrisées, soit soumise à l’aléatoire…
(2) Holy Motors invente sa propre logique et c’est là le plus beau. Qu’importe alors que Kay-M (Eva Mendes) soit aussi, comme Oscar, une comédienne passant d’une vie à l’autre (ce que nous révèle une scène coupée), qu’un mort se relève à la fin d’une séquence d’agonie, qu’un « entracte » injustifié déboule pour le simple plaisir d’une jubilatoire séquence musicale, que Denis Lavant, au beau milieu du film, se retrouve – vertige sublime – face à sa toute première incarnation (le banquier à la terrasse du Fouquet’s : comme si les personnages, entr’aperçus jusqu’alors au gré des métamorphoses filmées par Carax, prenaient vie, s’affranchissaient de celui qui les incarnait, qui les a créés), qu’importe aussi que le personnage joué par Kylie Minogue soit double (Eva/Jean), tout communique, tout fait sens, rien n’est sérieux, tout est très sérieux…


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13 avril 2012 5 13 /04 /avril /2012 16:31

Sequence_Print_02_300dpi.jpgOn aime particulièrement dans Nino, une adolescence imaginaire de Nino Ferrer le beau film de Thomas Bardinet qui sort le 25 avril comment deux ou trois chansons d’un artiste permettent, presque à elles seules, de construire la trame de ce que l’on qualifierait volontiers d’"anti-biopic". Car il faut bien lire le sous-titre pour ce qu’il est. Il s’agit d’imaginer ici ce qu’aurait pu être un été d’adolescence de celui qui deviendra le chanteur que l’on sait.

Il y a quelques années, sortait un album de reprises de Nino Ferrer intitulé On dirait Nino. Le film de Thomas Bardinet participe lui aussi, à sa manière, du processus de la reprise toute personnelle et aurait pu, pour sa part, s’intituler "On dirait (que) Nino…". Cela posé, le champ était libre pour écrire une histoire d'amour adolescente envisagée au prisme discret de la figure d’un jeune Nino pas encore chanteur mais déjà fort attiré par l’Art (le théâtre, la poésie et le dessin – plus que la chanson d’ailleurs – dans le film).

Toute la singularité de Nino, une adolescence imaginaire de Nino Ferrer est de faire préexister les chansons au récit, donnant rétrospectivement à celles-ci une ampleur autobiographique et mélancolique qu’elles avaient certes déjà à leur sortie (pensons à la sublime et tragique Chanson pour Nathalie) mais qui est là décuplée par le récit sentimental et initiatique que le cinéaste imagine. À cette liberté prise avec la biographie du chanteur correspond une liberté de ton et une manière de faire on ne peut plus légère et salutaire (Bardinet a occupé tous les postes sur le tournage) qui convoque tant, pour le spectateur, le souvenir d’Eustache (Mes petites amoureuses) que celui de Rohmer (Conte d’été).

Au centre du film, donc, deux figures féminines, deux adolescentes, une blonde et une brune, renvoyant chacune à une chanson de Nino Ferrer. Natacha et Nathalie. La manière dont les deux chansons associées à ces prénoms déboulent dans le film est très belle : inattendue autant qu’évidente. Il me faudra, Natacha et Chanson pour Nathalie sont comme venues d’un futur qui s’écrirait alors, chantées – et c’est très important – par la voix du vraie Nino. Bien sûr, adolescent, Nino Ferrer était loin de les avoir composés, ces morceaux, mais on aime comme le film se les approprie en dépit de tout bon sens chronologique. Car ce qui compte alors, c’est bien l’humeur qu’ils véhiculent, la vérité des sentiments plutôt que celle des événements. Et, dès lors, ces deux chansons (auxquelles s'ajoute, en filigrane, L'arbre noir) tombent plus qu’à point, évidences pop venant surligner certains parti pris narratifs d’un film bien plus audacieux qu’il n'y paraît.

 

http://www.ninolefilm.com/ 


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5 septembre 2011 1 05 /09 /septembre /2011 20:00

 

image.jpgQuelques réflexions minutées sur The Clock, œuvre vidéo de 24 heures, de Christian Marclay, présentée au Centre Pompidou entre le 3 et le 5 septembre 2011

 

Présentation de The Clock

 

 

 

 

 

 

-       Le sentiment, en tant que spectateur, de vivre une expérience rare, unique et singulière. La dernière fois, ça devait être Inland Empire de David Lynch, mais c’était encore un film… D’ailleurs, pendant le visionnage de The Clock, le film qu’on a vu juste avant à la Cinémathèque – Ten de Blake Edwards, très bon au demeurant – s’efface : ce n’est qu’un film après tout, lui, fait d’un début et d’une fin. Voir The Clock, c’est autre chose, c’est casser les cadres, réapprendre ce qu’est, pour le spectateur, la liberté totale.

-       La liberté. Celle, déjà, de partir quand on veut. Celle, surtout, d’octroyer à l’œuvre la durée que l’on souhaite. Bien sûr que The Clock a une durée (24 heures), mais qui l’a visionné entièrement ? Ce n’est ni un court métrage ni un long métrage, ça dépasse ces bêtes catégories. Pourtant, c’est assurément du Cinéma. De tous ceux qui ont vu The Clock, seuls ceux qui sont venus ensemble en groupe, en couple, qui sont arrivés et repartis au même moment ont vu la même chose. On peut en parler aujourd’hui, lundi, avec des amis qui y sont allés ce  week end, mais on n’a pas vu les mêmes choses, on n’est pas resté tous aussi longtemps. À chacun, son expérience singulière d'une œuvre qui ne peut s'englober d'un coup.

-       Aussi était-il sans aucun doute important de voir The Clock seul. Sans pression pour partir, pour rester, sans l’idée d’un rendez-vous, d’un repas, d’une fête, derrière. Partir quand on veut. Rester deux heures, trois heures, quatre heure. Revenir dans le cœur de la nuit ou au petit matin. Expérience fascinante et jamais lassante.

-       Car The Clock est une hypnose. C’est "le" film immersif avec lequel la 3D ne peut rivaliser. D’ailleurs, il y avait très peu de va-et-vient dans la galerie. Les gens viennent pour longtemps, s’installent. Le mieux, peut-être, c’était de s’allonger par terre, totalement à l’aise, porté par le cours du temps, par le flux des images. S’allonger, se déplier, s’étirer, repartir pour un tour de cadran.

-       On pouvait fermer les yeux. La bande son fait le lien, superpose le son de telle scène au déroulement de telle autre. Elle évite les brusques cassures, elle reconstruit une linéarité que les images contredisent. Pourtant, les raccords dans le mouvement sont là pour donner l’illusion de la linéarité, les champs/contrechamps et le simple jeu du montage créent des liens forts et inattendus entre les films, les genres et les époques. Christian Marclay, sur cela, n’a rien inventé. Le cinéaste expérimental Mathias Muller faisait déjà ça il y a près de vingt ans. Mais la synchronisation du film avec le temps réel, le gigantisme maniaque du projet, tout cela en fait une œuvre unique, quintessence du cinéma mash-up.

-       La beauté de The Clock est là, aussi. Dans le mélange permanent qui fait s’entrechoquer les cinématographies et les genres les plus hétérogènes, sans souci du bon goût cinéphile, avec le simple et pur plaisir du jeu.

-       En voyant The Clock, je me suis rendu compte aussi que c’était la première fois que je fixais une horloge plus de trois heures durant…

-       Je n’ai regardé l'heure sur mon téléphone que deux fois : histoire de le faire, ce geste idiot et inutile, histoire de se raccorder au réel, juste pour vérifier.

-       Et puis la machine s’enraye parfois. Soudain, une horloge n’est pas à l’heure. Ça dure quelques secondes. Et un personnage apparaît qui tourne les aiguilles et rétablit le cours du temps. Ce fut le cas vers 23 heures. En début d'après-midi aussi, apparemment. Un autre film, les mêmes gestes. C'est un peu le principe de The Clock d'ailleurs.

-       Le temps malmené justement. Pendant le visionnage, on a encore plus apprécié les incursions d’images de films qui en faisaient leur sujet direct. Des boucles, des voyages dans le temps, des flashbacks, des flash-forwards. Vertige de la mise en abyme, donc, quand on reconnaît Un jour sans fin, Retour vers le futur, Quelque part dans le temps, C’était demain ou Terminator

-       Un regret quand même : ne pas savoir par quelles images (de 11h et de 10h59 du matin commence et finit The Clock...

 

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7 avril 2011 4 07 /04 /avril /2011 16:50

P060411_14.45_-02-.jpg

 

 

Hier,


J’ai lu une lettre de Kirk Douglas adressée à Stanley Kubrick (Spartacus)

J’ai lu une lettre de Vladimir Nabokov envoyée à Stanley Kubrick (Lolita)

J’ai vu les fausses unes de journaux sur l’arrestation d’Alex (Orange mécanique)

J’ai vu le costume du Moonwatcher, le casque de Bowman et même (mais, là, ce n'était qu'une réplique) Hal 9000 (2001, l'odyssée de l'espace)

J’ai vu les robes et les chaussures des jumelles assassinées. J’ai vu le livre de Stephen King annoté par Stanley Kubrick. J’ai vu les propositions de visuels de Saul Bass, et surtout, écrites à côté, les sévères remarques qu’y fit le cinéaste (Shining)

J’ai vu le casque de Joker (Full Metal Jacket)

J’ai vu deux visuels sublimes de Viviane et Katharina Kubrick malheureusement écartés pour l’affiche (Eyes Wide Shut)

J’ai lu une lettre manuscrite d’Audrey Hepburn refusant le rôle de Joséphine (Napoléon)


Hier, j'ai aussi regretté que tant d'objets ou costumes ne soient que des artefacts, mais qu'importe car il y avait au moins tout cela... Et la moquette de l'Hôtel Overlook...

 

 

 

Exposition Stanley Kubrick, jusqu'au 31 juillet à la Cinémathèque Française

 

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1 février 2011 2 01 /02 /février /2011 16:49

Sofia-Coppola_Somewhere3.jpgOn sait le bon goût de Sofia Coppola en matière de bandes originales. Un bon goût affirmé dès un premier film mémorable mais tel qu’il devint très vite suspect, comme s’il s’était agi ensuite, pour la cinéaste (un temps liée à Spike Jonze, puis, plus récemment, à un musicien de Phoenix), d’avoir toujours la B.O. la plus cool, de donner à chaque film les gages d’un positionnement indie irréprochable.

D’abord rattrapée par la hype (il faut se souvenir que Virgin Suicides mit très longtemps à sortir en France), on a vite pensé que Sofia s’était surtout muée en suiveuse  agaçante, ne tentant même plus de rééditer l’exploit de son premier film (une vraie bande "originale" - signée Air, pour mémoire) pour se contenter d’enfiler, dans ses films les plus médiocres (Lost in Translation et Marie-Antoinette, pour ne pas les nommer), les morceaux pop comme un Scorsese déroule son juke-box rock au gré d’une filmographie à l’intérêt très aléatoire.

Ce n’est pas avec Somewhere que les choses changeront, mais il y a un détail que j’aime beaucoup dans ce film. Si l’à propos des choix de Sofia ne surprend pas, frappe surtout comment la musique y est, elle-même, mise en scène. Je pense particulièrement à trois scènes. Qui, toutes trois, coïncident, dans leur durée, avec l’intégralité de trois morceaux qui leur sont très étroitement liés.

somewhere cleo patinageC’est à chaque fois une musique "in", diégétique, diffusée par une sono rachitique, saisie en direct : diffusée par un radio-cassette dans les deux scènes (volontairement interminables) de chambre d’hôtel où des jumelles strip-teaseuses distraient Johnny Marco ; crachée par les hauts-parleurs d’une patinoire déserte quand Cléo se rend à son cours avec son père, la star hollywoodienne maussade interprétée avec une paradoxale conviction passive par Stephen Dorff. Au show cheap et maladroit – et involontairement drôle – dispensé par les deux strip-teaseuses, deux morceaux à la fois très bons et particulièrement vulgaires : le My Hero épais et épique des Foo Fighters et le r'n'b One Thing d’Amerie. Pour la scène à la patinoire, un morceau de Gwen Stefani (Cool) qui colle parfaitement à l’imaginaire musical que l’on associerait à une pré-ado américaine de douze ans. Rien donc, ici, de très branché. Comme si Sofia Coppola réussissait enfin à mettre la musique au service de ses personnages, du film, et à s'oublier un peu (même si, plus tard, une belle reprise des Strokes par Phoenix illuminera un beau moment de quiétude entre Johnny et sa fille).

L’intelligence de la cinéaste, dans ces trois séquences, est de ne jamais lisser le son, de toujours laisser la musique "in" : rachitique pour les scènes de strip-tease foireux, perdue dans l’espace pour la séquence de la patinoire à la fois grâcieuse et gentiment ridicule. Option réaliste, en creux, raccord avec le propos et le tempo du film, tranchant d’emblée avec la volonté possiblement opportuniste présidant en amont au choix de tel ou tel morceau. Pour le dire autrement : ce qui, chez d’autres, serait là pour dynamiser, séduire, renvoie ici – par les moyens de restitution ingrats – des reflets futiles et dérisoires, pas les moindres beautés d’un film particulièrement fin et touchant.

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6 janvier 2011 4 06 /01 /janvier /2011 16:29

Sortie le 26 janvier 2011

 

je_suis_un_no_man_s_land_photo_3_copyright_nicolas_comment-.jpgIl y a près de dix ans, un moyen métrage remarquable invitait le chanteur Katerine à faire l’acteur. C’était à l’époque de Huitième ciel, bien avant son succès foudroyant, sa médiatisation, et les innombrables malentendus générés par les tubes de Robots après tout (Louxor j’adore, 100% VIP). Dans ce film réalisé par Thierry Jousse (critique inspiré et inspirant, pour les Cahiers du cinéma, dans les années 80/90), le chanteur jouait peu ou prou son propre rôle (comme déjà le guitariste Noël Akchoté le faisait dans le premier film de Thiery Jousse, Le jour de Noël). Il s’y prénommait Philippe, y était chanteur. Il y tombait amoureux d’une strip-teaseuse jouée par Margot Abascal et le film s’installait, en sa deuxième partie, dans une douce langueur rythmée par quelques chansons interprétées, en toute intimité, en simple guitare-voix (à deux voix aussi, comme ce fut souvent le cas dans la discographie de Katerine et de ses muses, d’Anna Karina à Héléna Noguerra).

Après Nom de code : Sacha, Thierry Jousse fit tourner Katerine dans Julia et les hommes, un autre moyen métrage, et l’on vit même le chanteur apparaître brièvement dans Les invisibles, le premier long du réalisateur (voir ici). Entre temps – sous l’égide des Films Hatari, qui produisirent donc Julia et les hommes, une poignée de courts métrages mémorables (La peur, petit chasseur de Laurent Achard, De sortie de Thomas Salvador) et aussi quelques très beaux longs métrages (Capitaine Achab de Philippe Ramos, Au voleur ! de Sarah Leonor) – Philippe Katerine réalisa en dilettante un long métrage intitulé Peau de cochon (voir ici). Autoportrait en plusieurs fragments, ce film – incroyablement stimulant – mêlait home movie, faux documentaire, courtes fictions intimes, blagues potaches et belles trouées poétiques, dessinant en kaléidoscope – et comme en autant de morceaux – le portrait d’un chanteur s’exprimant, on le découvrait alors, tout aussi bien à travers la vidéo qu’à travers le dessin (un livre de croquis naïfs, Doublez votre mémoire annonçant la part enfantine se déployant dans le récent album Philippe Katerine parut à peu près à la même période). 

Du coup, voir Katerine en tête d’affiche du nouveau film de Thierry Jousse, ce n’est pas un "coup", c’est bien la continuation d’un cheminement amorcé il y a dix ans (avec, entre autres détours, un rôle dans Peindre ou faire l’amour d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu, un autre – jouissif – dans Capitaine Achab et celui, bien sûr, de Boris Vian dans le Gainsbourg, vie héroïque de Joan Sfar).

Mais, de Nom de code : Sacha à Je suis un no man’s land, le statut du vendéen a changé et Thierry Jousse en prend acte. Le cabaret glauque de Nom de code : Sacha a été remplacé par une grande salle de concert, et cela suffit pour résumer en quelques plans comme l’acteur n’est plus le même, comme l’enjeu aussi est différent (du court au long, du chanteur indépendant au "bon client" des plateaux télé). Katerine joue donc à nouveau le rôle d’un chanteur prénommé Philippe, mais si celui-ci semble, dans le prologue, ressembler à celui que nous connaissons, le cinéaste s’emploiera très vite à décoller du personnage cette peau première, cette fonction qui l'identifie. Le début de Je suis un no man’s land nous suggère que Philippe est une star. Mais Thierry Jousse ne filmera pas le chanteur à l’œuvre, juste les coulisses (l'avant, l'après) de son tour de chant. Ainsi, Je suis un no man's land n'est pas un film sur Katerine. Il part du personnage public pour aller voir ailleurs. En 2011, le chanteur n’est plus celui qui contemplait, fasciné, la strip-teaseuse Sacha, mais il est, au contraire, devenu, lui, l’objet de convoitise. L’objet de convoitise d’une fan nymphomane qui l’enlève et le précipite dans une fable fantastique dont le postulat de départ évoque à la fois Un jour sans fin de Harold Ramis, L’ange exterminateur de Luis Bunuel et même L’antre de la folie de John Carpenter.

je_suis_un_no_man_s_land_photo_4_copyright_nicolas_comment.jpgVenu donner un concert dans la région où il a grandi, Philippe, tentant d’échapper à cette fan  trop entreprenante, se retrouve inexplicablement, après une longue errance en forêt, dans la maison de ses parents, un père et une mère qu’il n’a pas vus depuis des années. Syncope. Ellipse. Réveil au petit matin dans sa chambre d’ado. Hésitation. Refaire comme avant. Remettre son vieux survet’. Aller boire un coup au troquet. Et puis, parce que la tournée doit continuer et qu’il doit rejoindre ses musiciens, la révélation du sortilège quand il veut quitter le village (toute allusion au Prisonnier étant absolument volontaire) : il ne peut pas en partir, ramené inexplicablement toujours à la même place (celle du village).

Le film, qui débute comme un conte fantastique, déviera en fait peu à peu vers la chronique familiale (les scènes avec les parents, les plus réussies) et la romance (les rencontres nocturnes avec une ornithologue jouée par Julie Depardieu, partie du film qui peine à convaincre). Que Philippe soit chanteur n’importera plus vraiment et la chanson ne refera véritablement irruption dans le cours du récit que lors d’un épilogue un peu raté.

À l’instar d’Un jour sans fin, Je suis un no man’s land est avant tout une fable qui jamais ne viendra expliquer le pourquoi de ce sort qui s'acharne, si ce n’est dans ce programme narratif attendu qui consiste à confronter un personnage à l'irrationnel et à l'humaniser progressivement. Pourtant, Philippe n’est pas, comme Bill Murray dans le chef-d’œuvre de Harold Ramis, un sale type qui apprend à devenir une belle personne ; c’est surtout un homme qui s’est volontairement coupé de ses racines, de son passé (ses parents, ce pote avec qui il avait commencé à jouer de la musique et qui, lui, est resté dans le village, renonçant à ses rêves de gloire). Ce retour vers l’adolescence – ses lieux – ce retour vers des parents qui sont devenus des étrangers pourrait aussi évoquer de loin en loin la manière d’un Jiro Taniguchi dans les mangas Quartier lointain ou Journal de mon père. Dans cette réappropriation du passé, dans cette redécouverte de ce que l’on avait occulté, dans cette manière de dévoiler ce que sont devenus ses parents (le couple Aurore Clément / Jackie Berroyer est vraiment touchant), le film atteint une grâce et une légèreté que l’on n’attendait pas chez le réalisateur très théorique des Invisibles. Je suis un no man’s land est ainsi un film d’apaisement, une fable de réconciliation qui sait fort heureusement éviter la mièvrerie (voir comment la mère – malade et condamnée – explique à son fils qu’elle et son père n’ont plus besoin de lui, qu’ils se sont employés à se construire une belle vie sans lui).

Film hybride ne sachant pas toujours choisir son sujet et canaliser sa profuse inspiration, Je suis un no man’s land est un objet étrange. À défaut d’être le meilleur film de Thierry Jousse (on continue de lui préférer Nom de code : Sacha), il résonne de manière assez passionnante avec le dernier disque, faussement anecdotique, de Philippe Katerine. On regrette juste un peu de ne pas l'aimer autant.

 

Stéphane Kahn

 

 

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19 novembre 2010 5 19 /11 /novembre /2010 17:28

C'est peut-être le plus beau film français de l'année. L'un des plus sensibles assurément. Un film  discret, tout en creux, dans lequel on aurait pu vivre, dans lequel on aurait pu respirer. Un film qui nous habite autant qu'on l'habite. Un film important. Un film intime. Un film à soi, comme on le dirait volontiers d'un disque. Ses protagonistes pourraient être nos proches. Son humeur, douce et mélancolique, fait écho à celle qui parfois (je l'espère) se glisse en ces pages.

Surtout, Memory Lane, qui n'est pas le moins du monde un film musical (quoique...), sait mettre en scène cette passion qui nous lie, celle des disques, de la musique, de la pop telle qu'on la vit au quotidien, telle qu'elle infuse doucement dans nos vies. Une pop anglo-saxonne à travers laquelle vivent et s'oxygènent ces personnages (musiciens parfois), à travers laquelle, aussi, passe ici très délicatement, très finement, l'expression du sentiment amoureux (une jeune femme y offre même un disque de Sparklehorse à celui qu'elle aime peut-être, c'est dire...).

Memory Lane sort en salles mercredi prochain, le 24 novembre. Une sortie discrète sans doute. Raison de plus pour en parler déjà et pour que vous ne le ratiez pas.

 


memory lane 4Tout d’abord producteur (de beaux films de Darielle Tillon ou de Martin Rit), c’est par trois moyens métrages que Mikhaël Hers s’est d’emblée fait connaître. Avant Memory Lane, déjà trois heures de cinéma et, plus qu’une promesse, une œuvre solide. On a ainsi envie d’appréhender ces quatre films comme un tout, de ne pas considérer les courts comme des prémices. Car si c’est une litote d’écrire que Memory Lane figurait dans les marges de Montparnasse ou de Primrose Hill, ce serait mal le comprendre que de reprocher à Hers de ressasser.

On revient certes en terrain connu (géographiquement, formellement, thématiquement), mais c’est bel et bien comme si on mettait sur une platine le nouveau disque d’un groupe aimé, un peu différent chaque fois mais au fond toujours le même. Les films dialoguent non seulement au gré de correspondances de casting, mais aussi au hasard de rimes visuelles, de décors et de situations ; les plans urbains qui servaient de transition entre les trois parties de Montparnasse rythment désormais la narration, revenant, tel le beau thème au piano de David Sztanke, comme un refrain.

Ce cinéma infusé de pop anglaise cultive le spleen gagnant des jeunes gens déjà bien ancrés dans l’âge adulte. On repense aux beaux moments, on essaye de comprendre où ça a basculé, on écoute inlassablement des disques raccrochant à l’insouciance qui s’éloigne. Qu’il s’agisse de Charell et de ses quadras se retrouvant vingt-cinq ans après, ou de Primrose Hill, qui, comme Memory Lane, fait de l’adresse à l’autre son mode liminaire d’énonciation, tous saisissent des êtres confrontés à la fuite du temps, à l’obsolescence du groupe, à la mort, à la disparition, à la difficulté de vivre tout simplement. Car “memory lane”, c’est aussi une expression désignant le cheminement de la mémoire, cœur du cinéma de celui qui, dès son premier film, adaptait Patrick Modiano, et qui partage ici avec le romancier du souvenir un beau titre anglophone. Mélancolique, ce cinéma l’est assurément, scrutant nos quotidiens avec une grande douceur, une parfaite attention.

Ici donc, sept amis de longue date saisis quelques jours dans la banlieue ouest de Paris. Un mois d’août appréhendé comme un sas, une banlieue envisagée comme un bout du monde, pas tout à fait la ville ni vraiment la campagne, des scènes entre chiens et loups, quand tombe la nuit ou quand se lève le jour. Deux sœurs reviennent de province visiter leur père malade, un garçon fragile retape une maison gagnée par la végétation, d’autres font de la musique. Chaque partition intime se fond dans une trame générale ménageant le mystère de personnages pris à un moment donné, sur un mode certes hyperréaliste (la banalité de certaines répliques, la frontalité quotidienne des lieux: piscine, marché couvert, médiathèque, Fnac) mais préservant volontiers des zones de flou.

Ce flou qui, dans un plan saisissant, isole Raphaël. Toujours en retrait, le personnage interprété par Thomas Blanchard ne joue pas de musique, lui ; on ne lui voit pas, contrairement aux autres, d’attaches sentimentales, familiales. Son cheminement est solitaire, déconnecté. Son histoire, effleurée, résonne avec une chanson du regretté Elliott Smith intitulée “Memory Lane” et ayant trait au séjour du chanteur américain en hôpital psychiatrique. S’il apparaît à la traîne, souvent perdu dans un cadre trop grand pour lui, Raphaël est par défaut un personnage central : c’est à lui que s’adresse, l’automne venu, le narrateur, comme c’est au groupe de quatre amis que s’adressait la jeune femme disparue de Primrose Hill. Ces personnages, au bord de la folie, de la disparition (comme Charell, comme l’absente du second segment de Montparnasse) sont des déclencheurs, des révélateurs, ceux dont le destin froissé éclaire des personnages aux contours plus banals (Thibault Vinçon ici, Jean-Michel Fête dans Charell). Discrètement, ils nous tendent une clé, nous aidant peut-être à pénétrer le mystère envoûtant du cinéma de Mikhaël Hers.


Stéphane Kahn

Texte précédemment publié dans le n°95 de Bref, le magazine du court métrage, actuellement disponible en librairies.


Sortie le 24 novembre


 

 

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14 juin 2010 1 14 /06 /juin /2010 17:04

Dix amateurs de musique et de disques se livrent, racontent une anecdote ou se dévoilent, à travers l'évocation d'une chanson qui les a marqué (de State Trooper de Springsteen à Breathe de Pink Floyd en passant par Voyages de Polnareff ou Subterranean Homesick Blues de Dylan). L'idée est belle et rejoint, sur un mode plus documentaire qu'expérimental, la démarche entreprise par la réalisatrice Shanti Masud avec But We Have the Music (dont j'avais parlé ici). C'est simple, souvent touchant, ça s'appelle The Single Collection et c'est vraiment une bien belle manière de (faire) parler de musique sur Internet.



L'ensemble des sujets est visible ici : http://vimeo.com/singlecollection

Entretien avec le réalisateur, Julien Perrin, sur "La Petite Lucarne" du magazine Bref : ici


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