La principale question que pose le clip tient à la position de l’artiste dans la vidéo. Le filmera-t-on ? Chantera-t-il ? Devra-t-il jouer la comédie ? Si Glazer est, des quatre réalisateurs, celui qui s’affranchit le plus de la nécessité de filmer les interprètes, Romanek est sans doute celui qui leur est le plus fidèle. Tous ses clips filment la performance. Avec lui, quoique dans des conditions particulièrement difficiles (il a une réputation de tyran perfectionniste), les artistes font leur travail. Si, exceptionnellement, il demande un jour à un chanteur de jouer la comédie, ce sera, comme par hasard, à un familier des plateaux de cinéma tel David Bowie pour le clip de
Jump They Say.
Logiquement, Romanek est donc devenu maître dans l’art de filmer le live. Il dit lui-même privilégier l’énergie se dégageant des images.
Are you Gonna Go my Way pour Lenny Kravitz en témoigne, mettant en valeur, comme rarement dans un clip, l’authenticité d’une performance et l’énergie d’un morceau au riff imparable. La captation a aussi cela d’intéressant chez Romanek qu’elle peut tendre vers l’abstraction ou vers la pure sidération visuelle. Dans son clip pour Linkin’Park, il choisit de filmer le groupe de dos, à contre-jour, depuis le fond de la scène, pour mettre en valeur la foule qui écoute. Les silhouettes, les ombres des musiciens s’apparentent alors à des pulsations visuelles scandées par un jeu d’éclairages impressionnant. Dans un registre proche, la prestation d’Audioslave, juché sur un échafaudage branlant, juste sous les explosions d’un feu d’artifice démesuré, a donné lieu récemment au clip le plus enthousiasmant de Romanek, celui où son goût pour le vertige visuel et les jeux de lumière s’est exprimé le plus nettement (
ici). S’aventurant dans ce domaine de pur plaisir formel, jamais loin de l’esbroufe, Stéphane Sednaoui signa, en 1997, l’un des meilleurs clips de U2 en imaginant le groupe de Bono livrant sa prestation à l’intérieur d’une gigantesque boule à facettes. Effet saisissant : la télé couleur semble avoir été inventée pour diffuser le clip kaléidoscopique de
Discotheque. Paradoxe du playbackQui dit performance live dans un clip dit paradoxalement recours au playback. Si les artistes chantent, ils ne le font plus forcément devant un micro et les guitares ne sont pas forcément branchées. Le clip est le terrain de l’illusion, de la simulation. On y fait semblant, à l’image de Nick Cave dans ce clip d’Anton Corbijn où, pourtant sur une scène de théâtre, il évite ostensiblement de chanter dans le micro se dressant devant lui (
voir ici). Plus fréquemment, aussi, on chante, mais partout sauf dans un studio d’enregistrement ou dans une salle de concert. On se rapproche alors un peu d’une logique de comédie musicale où le fait de chanter n’est même plus motivé par le lieu ou le contexte (exemple : Alanis Morissette dans sa voiture pour
Ironic, réalisé par Sednaoui). On ne compte plus les clips où un interprète déambule dans la rue en chantant pour la caméra. Ces déambulations s’accompagnent le plus souvent de pénibles travellings arrière (ceux de Romanek pour Jay-Z ou Mick Jagger) et d’un montage faisant se succéder des lieux uniquement choisis pour leur photogénie. Ce procédé paresseux s’oppose au live en abolissant la notion d’espace à occuper, de scène. Le montage se charge de tout. Comme si le plus important était de trouver le bon décor. Quitte à sombrer dans le n’importe quoi quand on demande au leader des Rolling Stones de chanter dans une chambre froide.
Les fantômes du 7e art
Néanmoins, trouver le bon décor fait parfois le bon clip. Nous parlions de
Discotheque de U2, on peut aussi penser à deux clips réalisés par Glazer pour Massive Attack et Blur. Le premier, hommage à quelques films perturbants, se déroule dans un hôtel influencé par celui de
Shining. Dans le second, Blur joue sur une scène plantée dans un lieu rappelant
Orange mécanique, tandis que son chanteur, Damon Albarn, n’en finit pas de singer les mimiques de Malcolm Mc Dowell dans le film de Kubrick. Si Glazer, auteur, depuis, du troublant long métrage
Birth, est le moins prolifique des quatre réalisateurs, c’est aussi celui qui, d’emblée, lorgnait le plus vers le septième art.
Rabbit in your Headlights pour Unkle en témoigne en ne montrant jamais le chanteur et en convoquant l’acteur Denis Lavant pour une mini-fiction tendant clairement vers le court métrage. Il faudrait aussi mentionner les clips réalisés par Romanek pour Nine Inch Nails, sorte de digest expérimental mêlant le gothique le plus sombre aux visions horrifiques des frères Quay ou de
Eraserhead. Et si, bien souvent, des longs métrages se dissimulent, tels des fantômes, sous un clip ou derrière certaines de ses imag
es (Jump They Say de Romanek/Bowie et ses hommages appuyés à Alphaville et La jetée), ça nous rappelle que le clip se nourrit de tout, à commencer de ce grand frère vers lequel les regard des réalisateurs se tournent, de leur propre aveu, avec envie.
Dualité du clipCette ambiguïté, d’ailleurs, n’est que rarement résolue, et trop nombreux sont ceux qui ne choisissent pas ce qu’ils veulent filmer. Tiraillée entre la volonté de fiction et l’enregistrement de la performance, cette hésitation produit les clips les plus répandus. On y voit alterner ad libitum les plans convenus sur les interprètes avec une fiction hors de propos ou, pire encore, avec des images esthétisantes (des portraits de miséreux, souvent…) présentes pour faire joli ou pour renforcer artificiellement une prestation faiblarde. Cette plaie du montage parallèle, on la retrouve trop souvent chez Romanek (voir – ou ne pas voir – ses clips pour REM, KD Lang ou Janet Jackson) tandis que d’autres réussissent à la contourner intelligemment. Si l’histoire que filme Sednaoui pour les Black Crowes n’a rien à voir avec la performance du charismatique chanteur qu’il veut aussi montrer, il s’en sort en faisant de lui une sorte d’ange observant de haut les malheurs de la prostituée interprétée par une toute jeune Sofia Coppola. Le plus ingénieux, à ce petit jeu, fut pourtant Corbijn
avec Hero of the Day. Les membres du groupe Metallica y apparaissent bel et bien, mais toujours dans les images d’un téléviseur, au gré du zapping de son héros, tels les acteurs des différents programmes qu’il regarde (western, émission de jeu, etc.).
J'aurais pu parler aussi de l’emploi du noir et blanc, évoquer ces chanteurs gesticulant face à des objectifs grand angle, rappeler l’importance des costumes et des accessoires (pour tout cela, voir le dispendieux
Scream interprété par Michael et Janet Jackson et filmé par Romanek), mais la place manque tant le clip, genre pluriel et paradoxal, ne cesse de se répéter tout en se renouvelant. Les quelque 80 clips que proposent les volumes 4, 5, 6 et 7 des dvd édités par Labels offrent un bon résumé de ce que le genre propose. Du pire au meilleur. L’excellence, elle, se niche toujours dans le volume 3, consacré à un certain Michel Gondry.