Les médias s’en sont fait (trop ?) largement l’écho, Michel Polnareff donnait ce vendredi 2 mars son premier concert en France depuis 34 ans. Un réel événement.
On n’expliquera pas ici pourquoi Polnareff compta tant dans le paysage de la pop française de la fin des années 60 et du début des années 70. Libération (ici) et Télérama (là) l’ont très bien fait ces derniers jours. On ne répétera pas qu’il importa en France le savoir-faire et les techniques d’enregistrement anglo-saxonnes un peu avant que Gainsbourg s’y intéresse. On ne redira pas à quel point ses qualités de mélodiste et d’arrangeur ringardisèrent d’emblée la génération Yé-Yé un poil plus âgée que lui, sans pour autant que sa manière génère une suite ou un héritage. Il est plus problématique d’envisager la carrière de Polnareff après son départ forcé pour les Etats-Unis puisqu’il alterna alors le pire et le meilleur, brouillant les cartes entre superficiel et essentiel, ne retrouvant jamais vraiment l’inspiration de ses albums du début des années 70 (Polnareff’s et Polnarêve, ses deux chef-d’œuvres, avec le live Polnarévolution)… Quoi d’autre, alors ? Des albums truffés de synthés et à la production chargée dans les années 80 (Bulles et Incognito), des singles effroyables livrés parcimonieusement ces dernières années (Je rêve d’un monde, Ophélie Flagrant Des Lits)... Il y a dix ans, un live enregistré à Los Angeles, promesse non tenue d’un premier retour, avait rassuré, Polnareff y revisitant de façon inspirée ses plus grands succès…
On n’en dira pas autant de la tournée « best of » révélée hier soir à Bercy…
Polnareff est donc revenu sur Terre. En se livrant ainsi enfin à ses fans, il abandonne sciemment ce qui en fit un mythe vivant de la chanson française : le mystère et la rareté. Polnareff existe, je l’ai vu hier. Et il était très mal habillé. Le fantasme de son retour, rengaine régulière de ces quinze dernières années pour moi et quelques autres, est devenu réalité. Et le constat n’est qu'à moitié réjouissant.
Mais commençons par le début. Dans Bercy, en arrivant, on croisait plein de clones du chanteur à lunettes. Celui-ci, comme on l’avait pressenti avec le clip de son dernier single (lire ici), continuait donc de favoriser la dilution de sa personnalité dans un imaginaire collectif où sa paire de lunette, sa paire de fesses et sa crinière blonde suffisaient à le caractériser. Polnareff, c’est un logo, une marque. Aujourd’hui, plus que jamais tant au final c’est le retour/événement que l’on veut nous vendre, pas de nouvelles chansons. On pouvait acheter le programme de la soirée : 25 euros quand même ! Surtout, on pouvait acquérir le super Polnapack constitué, outre ledit programme, d’une perruque et des fameuses lunettes blanches. Vulgarisation et banalisation de l’artiste jusque dans le lieu de son grand retour. En écho involontaire au générique de fin du récent Rocky Balboa – où les anonymes reproduisent sur les marches du Palais des Arts de Philadelphie les gestes de Stallone lors de la fameuse séquence d’entraînement du premier film de la série – les fans étaient là aussi mis à contribution puisque des photos de ces doubles emperruqués étaient projetées avant le début du concert dans les lunettes géantes où se nichaient les indispensables écrans géants…
Puis arriva la star… Mais après tous ces people qui captèrent l’attention du gentil spectateur pour quelques minutes : un premier ministre, une comédienne de petite taille à la popularité inversement proportionnelle, un chanteur jadis populaire et désormais joueur de poker, des présentateurs télé et plein d’autres dont on se foutait éperdument…
L’entrée, au son des trois accords de La poupée qui fait non, fut grandiloquente, ombre projetée, frime, posture ouvertement ironique. Tout allait bien. Premier morceau : Je suis un homme. On avait rêvé mieux (l’instrumental Voyages, l’autoréférentiel Petite, Petite), mais, bon, ce n’était pas si mal. Surtout que la suite, pendant une grosse demie heure, ne vint trahir la moindre faute de goût dans le choix des chansons. Pourtant, d’emblée, un truc clochait. Tout cela était très lisse, très formaté, sans prise de risque aucune, avec un Polnareff que l’on devinait un rien crispé, étonnamment statique, tandis que les musiciens s’appliquaient à donner aux chansons un écrin rock FM aux sonorités discutables. A vrai dire, j’aurais pu (dû) m’évanouir lorsqu’il entama très tôt dans la soirée Sous quelle étoile suis-je né, mais, comme pour toutes les splendeurs qu’il se permit de revisiter (Le bal des Laze, Holidays, La mouche), il fallut bien s’avouer que l’on n’était pas loin du saccage. Non pas que Michel soit devenu punk, non pas que sa voix l’ait trahi, non, c’est simplement que le groupe l’accompagnant était ignoble. Des techniciens sans âme. Un guitar-hero qui bossa avec Steve Vai, des choristes mercenaires venant palier les rares défaillances d’un Polnareff ne montant plus si haut, un bassiste/arrangeur tartinant des tonnes de notes superflues et, pire que tout, deux claviers venant gâcher à force de ringardes nappes et d’intervention absconses les si simples mélodies tant attendues. Par exemple, L’homme qui pleurait des larmes de verre se prêtait à une interprétation dépouillée piano/voix, mais il fallut que le bassiste vienne cabotiner et qu’un clavier vienne coucher quelques notes superfétatoires. A une époque, il y avait, dans les chansons de Polnareff, des déluges de cordes et de cuivres. C’était quand Jean-Claude Vannier travaillait avec lui. Dans cette tournée au budget que l’on imagine pourtant dispendieux, ces instruments ont été remplacés par deux claviers. Imaginez le carnage sur La mouche : un son eighties pourri et l’intro réservée aux cordes jouée à la guitare électrique…
Au final, quels furent les morceaux qui passèrent le mieux ? Logiquement, ceux de Bulles (Tam Tam) ou ceux d’Incognito (Dans la rue), tout simplement parce que, au niveau des arrangements, Polnareff, qui semble musicalement en être resté aux années 80, était raccord. La plupart des morceaux « classiques » subirent ce traitement eighties/rock FM (ah ! le final heavy metal du Bal des Laze, quelle audace !...) et cela réussit à ternir un peu le plaisir de découvrir en live des chansons longtemps chéries. Pour se faire une idée des choix artistiques incriminés, il faudrait imaginer le groupe Toto ou, comme me le soufflait un ami, les musiciens de Lionel Richie jouant les chansons de Polnareff… Dommage car le choix des morceaux n’était pas mal du tout, avec quelques vraies surprises parmi les moins connus (L’homme qui pleurait des larmes de verre, Je cherche un job, Hey You Woman).
Un morceau aussi éculé que On ira tous au Paradis (fin logique du concert) fut tout de même rendu jubilatoire par l’option karaoké géant auquel se prêtèrent avec ferveur les 17000 spectateurs. Ah ! oui, on a eu droit aussi à une chanson inédite. Un texte multipliant les allusions sexuelles (sacré Polna !) et une mélodie jazzy aussi indigente que celle de la sinistre Ophélie Flagrant Des Lits… A quoi bon, dans les interviews, citer Weather Report, Mahavishnu Orchestra, balancer qu’il ne jouera pas Dans la maison vide parce que c’est trop « variété », si c’est pour pondre de telles nullités ?
Quand Christophe, son contemporain et double en dinguerie, a su, ces dernières années, se renouveler de la plus belle manière qui soit, quand d’autres sexagénaires (Alain Bashung, Robert Plant, Iggy Pop) livrent des albums et des prestations live étonnantes, Polnareff a démontré en un peu plus de deux heures qu’il n’était plus que l’ombre de l’artiste qu’il fut. Faute de dignement créer, le voici cantonné à l’exercice du revival. Comme s’il n’avait plus rien d’autre à faire désormais qu’à jouer un rôle. Le sien.
Enfin, du moment que TF1 et RTL, ses sponsors, sont contents…