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6 janvier 2011 4 06 /01 /janvier /2011 16:29

Sortie le 26 janvier 2011

 

je_suis_un_no_man_s_land_photo_3_copyright_nicolas_comment-.jpgIl y a près de dix ans, un moyen métrage remarquable invitait le chanteur Katerine à faire l’acteur. C’était à l’époque de Huitième ciel, bien avant son succès foudroyant, sa médiatisation, et les innombrables malentendus générés par les tubes de Robots après tout (Louxor j’adore, 100% VIP). Dans ce film réalisé par Thierry Jousse (critique inspiré et inspirant, pour les Cahiers du cinéma, dans les années 80/90), le chanteur jouait peu ou prou son propre rôle (comme déjà le guitariste Noël Akchoté le faisait dans le premier film de Thiery Jousse, Le jour de Noël). Il s’y prénommait Philippe, y était chanteur. Il y tombait amoureux d’une strip-teaseuse jouée par Margot Abascal et le film s’installait, en sa deuxième partie, dans une douce langueur rythmée par quelques chansons interprétées, en toute intimité, en simple guitare-voix (à deux voix aussi, comme ce fut souvent le cas dans la discographie de Katerine et de ses muses, d’Anna Karina à Héléna Noguerra).

Après Nom de code : Sacha, Thierry Jousse fit tourner Katerine dans Julia et les hommes, un autre moyen métrage, et l’on vit même le chanteur apparaître brièvement dans Les invisibles, le premier long du réalisateur (voir ici). Entre temps – sous l’égide des Films Hatari, qui produisirent donc Julia et les hommes, une poignée de courts métrages mémorables (La peur, petit chasseur de Laurent Achard, De sortie de Thomas Salvador) et aussi quelques très beaux longs métrages (Capitaine Achab de Philippe Ramos, Au voleur ! de Sarah Leonor) – Philippe Katerine réalisa en dilettante un long métrage intitulé Peau de cochon (voir ici). Autoportrait en plusieurs fragments, ce film – incroyablement stimulant – mêlait home movie, faux documentaire, courtes fictions intimes, blagues potaches et belles trouées poétiques, dessinant en kaléidoscope – et comme en autant de morceaux – le portrait d’un chanteur s’exprimant, on le découvrait alors, tout aussi bien à travers la vidéo qu’à travers le dessin (un livre de croquis naïfs, Doublez votre mémoire annonçant la part enfantine se déployant dans le récent album Philippe Katerine parut à peu près à la même période). 

Du coup, voir Katerine en tête d’affiche du nouveau film de Thierry Jousse, ce n’est pas un "coup", c’est bien la continuation d’un cheminement amorcé il y a dix ans (avec, entre autres détours, un rôle dans Peindre ou faire l’amour d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu, un autre – jouissif – dans Capitaine Achab et celui, bien sûr, de Boris Vian dans le Gainsbourg, vie héroïque de Joan Sfar).

Mais, de Nom de code : Sacha à Je suis un no man’s land, le statut du vendéen a changé et Thierry Jousse en prend acte. Le cabaret glauque de Nom de code : Sacha a été remplacé par une grande salle de concert, et cela suffit pour résumer en quelques plans comme l’acteur n’est plus le même, comme l’enjeu aussi est différent (du court au long, du chanteur indépendant au "bon client" des plateaux télé). Katerine joue donc à nouveau le rôle d’un chanteur prénommé Philippe, mais si celui-ci semble, dans le prologue, ressembler à celui que nous connaissons, le cinéaste s’emploiera très vite à décoller du personnage cette peau première, cette fonction qui l'identifie. Le début de Je suis un no man’s land nous suggère que Philippe est une star. Mais Thierry Jousse ne filmera pas le chanteur à l’œuvre, juste les coulisses (l'avant, l'après) de son tour de chant. Ainsi, Je suis un no man's land n'est pas un film sur Katerine. Il part du personnage public pour aller voir ailleurs. En 2011, le chanteur n’est plus celui qui contemplait, fasciné, la strip-teaseuse Sacha, mais il est, au contraire, devenu, lui, l’objet de convoitise. L’objet de convoitise d’une fan nymphomane qui l’enlève et le précipite dans une fable fantastique dont le postulat de départ évoque à la fois Un jour sans fin de Harold Ramis, L’ange exterminateur de Luis Bunuel et même L’antre de la folie de John Carpenter.

je_suis_un_no_man_s_land_photo_4_copyright_nicolas_comment.jpgVenu donner un concert dans la région où il a grandi, Philippe, tentant d’échapper à cette fan  trop entreprenante, se retrouve inexplicablement, après une longue errance en forêt, dans la maison de ses parents, un père et une mère qu’il n’a pas vus depuis des années. Syncope. Ellipse. Réveil au petit matin dans sa chambre d’ado. Hésitation. Refaire comme avant. Remettre son vieux survet’. Aller boire un coup au troquet. Et puis, parce que la tournée doit continuer et qu’il doit rejoindre ses musiciens, la révélation du sortilège quand il veut quitter le village (toute allusion au Prisonnier étant absolument volontaire) : il ne peut pas en partir, ramené inexplicablement toujours à la même place (celle du village).

Le film, qui débute comme un conte fantastique, déviera en fait peu à peu vers la chronique familiale (les scènes avec les parents, les plus réussies) et la romance (les rencontres nocturnes avec une ornithologue jouée par Julie Depardieu, partie du film qui peine à convaincre). Que Philippe soit chanteur n’importera plus vraiment et la chanson ne refera véritablement irruption dans le cours du récit que lors d’un épilogue un peu raté.

À l’instar d’Un jour sans fin, Je suis un no man’s land est avant tout une fable qui jamais ne viendra expliquer le pourquoi de ce sort qui s'acharne, si ce n’est dans ce programme narratif attendu qui consiste à confronter un personnage à l'irrationnel et à l'humaniser progressivement. Pourtant, Philippe n’est pas, comme Bill Murray dans le chef-d’œuvre de Harold Ramis, un sale type qui apprend à devenir une belle personne ; c’est surtout un homme qui s’est volontairement coupé de ses racines, de son passé (ses parents, ce pote avec qui il avait commencé à jouer de la musique et qui, lui, est resté dans le village, renonçant à ses rêves de gloire). Ce retour vers l’adolescence – ses lieux – ce retour vers des parents qui sont devenus des étrangers pourrait aussi évoquer de loin en loin la manière d’un Jiro Taniguchi dans les mangas Quartier lointain ou Journal de mon père. Dans cette réappropriation du passé, dans cette redécouverte de ce que l’on avait occulté, dans cette manière de dévoiler ce que sont devenus ses parents (le couple Aurore Clément / Jackie Berroyer est vraiment touchant), le film atteint une grâce et une légèreté que l’on n’attendait pas chez le réalisateur très théorique des Invisibles. Je suis un no man’s land est ainsi un film d’apaisement, une fable de réconciliation qui sait fort heureusement éviter la mièvrerie (voir comment la mère – malade et condamnée – explique à son fils qu’elle et son père n’ont plus besoin de lui, qu’ils se sont employés à se construire une belle vie sans lui).

Film hybride ne sachant pas toujours choisir son sujet et canaliser sa profuse inspiration, Je suis un no man’s land est un objet étrange. À défaut d’être le meilleur film de Thierry Jousse (on continue de lui préférer Nom de code : Sacha), il résonne de manière assez passionnante avec le dernier disque, faussement anecdotique, de Philippe Katerine. On regrette juste un peu de ne pas l'aimer autant.

 

Stéphane Kahn

 

 

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commentaires

B
<br /> <br /> moi je préfère largement ce film au dernier Katerine, ça me semble beaucoup moins fumeux. Mais c'est vrai que c'est un joli film ovni, plein de poésie, de tendresse qui faut voir.<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
D
<br /> <br /> Pas (encore) vu les précédents films de Jousse, mais, à te lire, je crois que je vais tenter celui-ci.<br /> <br /> <br /> <br />
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S
<br /> <br /> À lire aussi une belle analyse des trois courts métrages de Thierry Jousse :<br /> <br /> <br /> http://www.pointligneplan.com/thierry-jousse<br /> <br /> <br /> <br />
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