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6 septembre 2006 3 06 /09 /septembre /2006 15:43





CLIP ET MÉTACOMMENTAIRE
(texte initialement publié sur le site Objectif Cinéma)

Comme je le disais voici quelques mois à propos d’un clip de Dominique A, tourner une vidéo pour promouvoir un single paraît, dans l’industrie du disque, être la chose la plus naturelle. Pourtant, qui parle de musique ne parle pas forcément d’image. Nous avons déjà vu que certains artistes tentent de résister à cette obligation et préféreraient sans doute ne pas apparaître à l’écran... du moins pas comme le métier entend que l’on se montre dans un clip. Avec celui que Roman Coppola signe pour le groupe Versaillais Phoenix en 2002, c’est plutôt des atermoiements du réalisateur lui-même qu’il est question. Que faire lorsque l’on ne sait plus quoi tourner pour honorer la commande ? Comment réaliser un clip original quand le budget est nul ? Comment mettre en images une chanson ayant pour principal défaut de durer neuf minutes ? C’est le récit de ces questionnements que déroule le clip de Funky Squaredance.

En 2002, cette vidéo bricolée avec les moyens du bord s’apparentait aussi au symptôme annonciateur d’une évolution conséquente quant à l’appréhension du genre. Ainsi, certains clips pouvaient être envisagés comme des œuvres à part entière, des revues de cinéma daignaient en parler et des festivals les accueillir... Une poignée d’années avant que soient édités des DVD consacrés aux réalisateurs plutôt qu’aux interprètes (la collection « Directors Label »), trois ans avant qu’un Gondry - par la grâce d’une apparition discrète dans Walkie Talkie Man de Steriogram - ne se pose au sein d’une vidéo qu’il dirige en premier « réalisateur star » de l’histoire du clip, Roman Coppola imposait déjà, avec Funky Squaredance, le réalisateur comme seul et véritable « auteur ».

Si Funky Squaredance est le clip le plus personnel qu’il m’ait été donné de voir, c’est parce que son parti pris, inhabituel, est de laisser les manettes de contrôle au seul Roman Coppola. Et c’est surtout parce que cette liberté qu’on lui octroie est le sujet même de la vidéo. Pas de compromissions ici, pas de négociations entre le groupe et le réalisateur, plutôt la délégation totale et bienveillante d’une chanson changeant de nature en même temps qu’elle change de média, en même temps qu’elle passe de la sphère musicale à la sphère cinématographique. Pour simplifier, on pourrait dire qu’au moment de faire le clip, le groupe exprime clairement qu’il n’est plus concerné, que ce n’est plus son domaine de compétence, choisissant de s’en remettre totalement à un professionnel de l’image. Celui auquel Phoenix s’adresse est l’un des réalisateurs jonglant le plus habilement avec les concepts, l’un de ceux grâce auxquels le vidéo-clip est entré de plain-pied dans cet âge de la reconnaissance.

Funky Squaredance, le film, commence donc par un carton où Coppola explique qu’en octobre 2001 Phoenix lui a demandé de réaliser le clip du troisième extrait de l’album United. Suivent des plans rapides sur les différents mails échangés par le réalisateur et les membres du groupe. Il apparaît très vite que le clip aura un budget quasiment nul puis que l’idée de Coppola est d’en faire une sorte de fourre-tout guidé par les sentiments que lui évoquent la chanson et dans lequel il s’investira autant, voire plus, que le groupe. La commande devient ainsi journal intime, carnet de notes, flux mental mélangeant petites animations sommaires, longs pavés de texte, photos de famille, extraits de films, archives vidéos, etc. Rarement l’implication d’un groupe aura été si peu visible, Phoenix s’effaçant littéralement pour ce clip que Coppola prend (avec leur bénédiction) complètement en otage. À tel point que c’est seulement vers la fin de la chanson que le réalisateur daignera - à travers une photographie noyée dans un déluge d’images - nous dévoiler le visage des musiciens. Ce n’est que deux ans plus tard, pour Everything is Everything, que Coppola - pour s’excuser ? - filmera finalement Phoenix à l’œuvre, instruments en main, sur scène.

Profondément égocentrique, malin derrière ses dehors humbles et fauchés, Funky Squaredance est aussi, reconnaissons le, un clip qui ne pourrait être celui de n’importe quel réalisateur. C’est bien celui de Roman Coppola, « fils de » et « frère de »... et cela a tellement d’importance ici que le name-dropping y fleurit, l’auteur prenant aussi le risque d’irriter le spectateur avec des phrases d’enfant gâté aussi lapidaires que « I love my family », « My parents are artists. You know about my dad’s work » ou encore « I admire Marcello Mastroianni’s style. I get my shirts made at his old tailor, Albertelli in Rome ».

À l’inverse de nombreux « fils de » ou « fille de », Roman et Sofia ne paraissent pas souffrir du poids de leur hérédité. Ils assument pleinement leur nom (contrairement à leur cousin Nicolas Cage), en joue même carrément, bien à leur place dans la logique de roman familial qu’illustre exemplairement la trilogie du Parrain. Roman n’a-t-il pas été réalisateur de deuxième équipe sur Dracula et sur Lost in Translation ? N’a-t-il pas fait jouer Jason Schwartzman, le fils de Talia Shire - la sœur de Francis - dans CQ  ? Jason Schwartzman ? Celui-là même qui fut révélé dans Rushmore, le film de Wes Anderson. Anderson ? Le jeune prodige auquel Roman Coppola prêta son concours sur les prises de vues de La vie aquatique... Un arbre généalogique touffu ne suffirait pas à dessiner les différentes imbrications existant entre ces personnalités dont le talent ne doit heureusement rien aux liens du sang. Tout cela pour dire que l’omniprésence de Roman Coppola charrie inévitablement ici et là quelques allusions à son père ou à sa sœur (évoquée à plusieurs reprises et qui apparaît en photo dès les premières minutes) ainsi qu’à leurs carrières respectives ou à quelques personnalités satellites tel le groupe Air (qui signa la musique de Virgin Suicides).

Le danger avec ce type de procédé mélangeant autobiographie et tâtonnements artistiques, c’est qu’il favorise la tentation de se réfugier dans l’autocitation et les clins d’œil complaisants. Dans sa nouvelle Octet, parue dans Brefs entretiens avec des hommes hideux, l’écrivain américain David Foster Wallace écrit, s’adressant à un auteur fictif abusant du métacommentaire, le danger qu’il encoure. Ses propos reviennent forcément à l’esprit quand on voit le clip de Coppola : « Peut-être que vous ne parviendrez qu’à avoir l’air d’un connard centripète, c’est tout à fait possible, ou d’un énième baratineur pseudo-postmoderne qui essaie de sauver sa peau en jetant son fiasco dans une dimension méta pour en faire l’éxégèse ». La question se pose alors : Funky Squaredance est-il le récit d’une impuissance à trouver de nouvelles idées ou, au contraire, la vraie « bonne idée » ? Plus important - et cela me fait pencher pour la deuxième hypothèse - le principe du collage choisi par Coppola, loin d’être gratuit, correspond idéalement à la structure hybride d’une chanson qui, elle-même, procède par juxtaposition d’influences : en neuf minutes, Funky Squaredance se divise effectivement en trois parties distinctes mélangeant des registres aussi différents que la ballade électro vaporeuse, la country, le disco, la soul ou le heavy metal.

Dès lors, Roman Coppola se permet tout. Son appropriation de l’outil informatique pour pallier l’absence de budget lui permet d’élaborer un journal filmique bâti de textes, de musique, de photos, d’images éparses rappelant fortement la manière de Jonathan Cahouette, le réalisateur du bouleversant Tarnation (2004). Dans cette logique d’assemblage proche du sampling, Coppola mélange les sources d’images, flirte avec le cinéma expérimental et intégre même à sa vidéo des extraits d’un autre clip (celui qu’il réalisa avec sa sœur pour le Playground Love de Air), quelques plans de Paris Brûle-t-il ? (dont son père co-écrivait le scénario quand il est né en 1965), voire - passage génial et gonflé - un home movie où sa petite amie, Frankie, se livre à une parodie de danse lascive, utilisé ici simplement parce qu’il faut dans tout bon clip une jolie fille qui danse (« Yeah ! Every video needs a chick in it ! (...) So here’s a clip of Frankie dancing in her apartment »).

Si l’on a l’impression, en voyant Funky Squaredance, d’être devant une chaîne musicale qui zapperait toute seule d’un clip à l’autre, c’est aussi parce que Roman Coppola profite de l’opportunité pour tester quelques idées saugrenues, des ébauches pour d’autres vidéos. Cela pourrait n’avoir ni queue ni tête. Et pourtant les cartons qui se succèdent tracent la cohérence d’une bande dont le fil directeur est tout simplement l’omniprésence du réalisateur, cette démarche « auteuriste » plus qu’assumée qui valut à ce clip d’intégrer la collection permanente du Musée d’art moderne de New-York.

On peut voir aussi dans ce clip le questionnement d’un réalisateur reconnu sur la nature de la commande, sur les bienfaits de l’artisanat, du bricolage et, surtout, sur sa place au sein de l’industrie du disque. Des interrogations peut-être pas si éloignées de celles qu’a pu avoir son père quant à sa place à Hollywood dans les années 70. CQ, le premier long métrage de Roman Coppola réalisé en 2001 et sorti en France début 2003, raconte lui aussi l’histoire d’un cinéaste confronté à la commande. Situé à la fin des années 60, il met en scène un jeune monteur pétri des influences de la Nouvelle vague qui se trouve amené à remplacer le réalisateur d’une série Z de science-fiction et à remiser ses ambitions artistiques au placard. Un tel argument résonne évidemment très fort, quoique de manière un peu décalée, avec les interrogations que formulent les neuf minutes de Funky Squaredance.

Plus précisément, CQ fait alterner deux registres qui se mêlent harmonieusement : le film intimiste (tel celui que souhaite réaliser Paul Ballard, son héros) et la série Z (les différentes séquences du film de SF qu’il doit diriger). Coexistent ainsi deux films dans le film : Dragonfly, le film officiel, et le "work in progress" de Paul, celui qu’il réalise chez lui grâce aux chutes de pellicule du tournage sur lequel il est employé. Dès lors que l’on a pu voir Funky Squaredance, cet "Untitled Project", comme Paul le baptise à l’occasion d’un « Festival international du film d’auteur », nous éclaire très nettement sur la place de Roman Coppola dans CQ. Dès le prologue, Paul est montré se filmant chez lui. Il assemble des bribes de vie quotidienne, des plans d’objets de tous les jours (sa savonnette, son passeport, son café noir, sa fougère, son Nagra, l’eau du bain, etc.), se livre face à la caméra (« Je filme tout, c’est plus fort que moi », confesse-t-il avant d’ajouter qu’il est « à la recherche du cinéma vérité, de la sincérité »). Sans compter cette courte séquence où il filme sa petite amie Marlène dansant devant la caméra, qui ne peut pas ne pas évoquer le home movie déjà mentionné où la copine de Roman se trémoussait en maillot deux pièces.

Violemment, pourtant, Marlène questionne Paul sur l’intérêt que les gens pourront trouver à son film introspectif. C’est là aussi le grand paradoxe de Funky Squaredance. Sa durée, le foisonnement de textes, sa facture primitive et l’attention qu’il sollicite sont autant de handicaps qui en font une bande improbable et difficilement diffusable (à la télé tout du moins). Pas sûr que la maison de disques ait été très contente du résultat. C’est bien la limite de la démarche arty de Roman Coppola. Sert-il le groupe, le morceau, autant que lui-même ? La question reste posée mais le clip dans nos mémoires.


Les Bandes du sous-sol :

http://www.objectif-cinema.com/article.php3?id_article=3884


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commentaires

S
Merci beaucoup pour ces précisions.
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F
Petites precisions pour completer cet article tres interessant.<br /> <br /> Du fait de sa durée et de son style assez particulier, le morceau Funky Squaredance n'avait a l'epoque aucun avenir commercial en tant que single (le choses ont changé par la suite) et ne reclamait par consequent pas de clip, si ce n'est pour promouvoir/couronner l'album United dont il est issu.<br /> <br /> C'etait l'objectif de Phoenix qui ne disposait donc pas de budget pour cette promo, mais souhaitait completer l'imagerie de leur album, et connaissait personnellement Roman.<br /> Le clip de Roman Coppola s'avera etre son cadeau de Noel pour le groupe et etait des le depart presenté par celui-ci moins comme une commande que comme une invitation a donner libre court a son imagination, ce qui explique la liberté dont il a fait preuve.
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