6 septembre 2006
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Texte initialement publié sur le site Objectif Cinéma
http://www.objectif-cinema.com/article.php3?id_article=4217
« Le détail qui tue », énième résurgence. Lors de leur escapade romantique à La Havane, le flic Sonny Crockett (Colin Farrell) et la mystérieuse Isabella (Gong Li) dégustent leurs mojitos dans un bar cubain à l’ambiance musicale enfiévrée. Suit une scène de séduction et de danse rappelant malheureusement les moments les plus kitchs du Mission : Impossible 2 de John Woo. Problème : devant les inserts du groupe cubain et du chanteur à l’œuvre, il est criant pour le spectateur qu’il n’a pas affaire ici à une prise directe de la musique, que ce que l’on entend n’est qu’une bande maladroitement plaquée sur des images voulant donner l’illusion du « live ». Le contexte filmé nécessitait une prise de son réaliste. On l’a remplacée par une facilité de post-production particulièrement choquante à l’oreille. Comment a-t-on pu laisser passer cela au mixage ? Ce hiatus soudain entre ce qui est vu et ce qui est entendu surprend d’autant plus quand on connaît le soin apporté aux moindres nuances sonores par Michael Mann dans les scènes de fusillades (tant dans Heat que dans Miami Vice, où les crépitements réalistes des armes à feu font déjà 50% de l’efficacité de ces séquences).
Pourtant, à bien y réfléchir, ce détail sonore – moins anodin qu’il n’y paraît – trahit surtout un problème plus général : le statut des deux personnages principaux interprétés par Colin Farrell et Jamie Foxx qui souffrent, à mon avis, d’être « surprotégés » par le scénario. Ainsi, tant dans la fiction (ils s’infiltrent au sein d’une organisation criminelle, jouent donc un rôle) que dans le déroulement du film, le simulacre et plus précisément le playback – c’est-à-dire, pour un chanteur, l’assurance de ne pas se tromper – semble être le « modus operandi » choisi par les acteurs et par le réalisateur. D’un côté, Mann « sécurise » son projet et nuance ses stimulantes velléités expérimentales en recourant plus que de raison à des morceaux FM fort embarrassants mais venant au moins reposer le spectateur malmené par un montage trépidant. De l’autre, Farrell et Foxx jouent leur partition sans se forcer et en gardant toujours l’œil sur un scénario qui, malgré son apparente précipitation, jamais ne les prendra de cours. Du look de mannequin « porte-fringues » arboré par Farrell au déploiement de moyens de transport dernier cri en passant par cette bande-son déjà datée où Moby (habile sampleur lui aussi) remplace avantageusement le Phil Collins de la série télé, l’artifice, la démonstration d’un luxe tapageur et le toc ne cessent d’interférer avec le traitement réaliste voulu sur le papier par Mann.
Dans Miami Vice, pourtant, la photo est sublime, l’ambition affichée du réalisateur est prometteuse : tout glisse à la vitesse de l’éclair (dans l’air, sur la mer, sur les routes), selon des enchaînements rythmiques et un montage heurté apparentant Mann à un stupéfiant DJ (tout du moins durant les vingt premières minutes, proprement ahurissantes). Le scénario, elliptique, dégraissé des moindres scènes de transition, ne privilégie que les mouvements, la pulsation, les gestes, les postures, les tronches et la dépense physique. Pourquoi pas. Mais cela, qui séduit au départ, handicape le film dès lors qu’il prétend nous intéresser à ses personnages et à leur psychologie de bazar.
Surtout, nos deux héros déroulent leur savoir-faire sans presque jamais risquer – littéralement – leur peau. Il est rare, dans ce type de polar, de ne pas voir les héros, saigner ou souffrir, bref être mis, à un moment ou un autre, physiquement en danger. En cela, Foxx et Farrell apparaissent comme les antithèses d’acteurs masochistes tels Clint Eastwood, Bruce Willis ou Mel Gibson. Pures surfaces iconiques (voir les affiches), ils paraissent toujours en léger décalage avec la violence de leur environnement. Point de torture ni de passage à tabac ici – peu, non plus, de contacts physiques avec autrui si ce n’est pour deux scènes de cul assez ratées – on risquerait de froisser les belles fringues du duo… Loin, donc, des flics pourris et vulnérables de William Friedkin, loin même du policier cabossé incarné par Al Pacino dans Heat, les deux acteurs planent au-dessus du film, icônes frimeuses pour magazine de mode (ah ! les tongs de Farrell !). Dans la sécurité de ce schéma redoublant, dans la direction d’acteur, le principe du playback, Foxx/Tubbs et Farrell/Crockett assurent tranquillement, avec professionnalisme, souvent à distance (mails, téléphones, etc.). Les autres morfleront pour eux. En l’occurrence les femmes. Dans la dernière demi-heure (assez prenante, avouons-le), la souffrance et la mise en danger sont transférées, de façon fort symétrique, sur les compagnes des deux héros, tour à tour prises en otage par de vilains trafiquants, néo-nazis de surcroît. Résultat : les deux héros archétypaux, qui jamais n’ont dérogé aux figures imposées (sagesse et retenue pour Tubbs ; passion et tentation pour Crockett), sortent du film immaculés, comme si les événements n’avaient pas vraiment eu de prise sur eux. Comme dans la série télé, ils sont prêts à rempiler pour une nouvelle mission, pour un autre épisode. Et rien n’aura vraiment changé. D’où cette impression persistante de simulacre, d’une mission effectuée sans vraiment se mouiller, assurée par un constant filet de sécurité.
Sans doute est-ce à cause de ce manque d’implication des personnages que Miami Vice sonne si creux. C’était déjà l’absence de réelle mise en danger de Foxx dans Collateral – le choix aussi d’y privilégier l’humour à la tension (la scène où il se faisait passer pour le tueur à gages) – qui trahissait la grosse faiblesse d’un film surévalué et dont le scénario banal ne valait pas une mise en scène si brillante. De mon point de vue, Michael Mann ne fut jamais aussi bon qu’au début des années 90 (Le dernier des Mohicans, Heat), paradoxal point mort de sa carrière. Il abandonnait alors le maniérisme esthétique des années 80 (La forteresse noire, Manhunter) et la cohérence du récit primait encore sur les expérimentations en HD entamées avec Collateral. C’était avant que l’industrie hollywoodienne – et la critique – lui offrent le siège en or du « super-auteur-dynamitant-les-règles-des-studios », cette place qu’un John McTiernan ou un Brian de Palma n’auraient jamais dû perdre…
Pour en revenir à Miami Vice, on pourra toujours s’amuser de l’ironie qui rattrapa l’invincible Colin Farrell dans la vraie vie. Faisant, côté coulisses, l’expérience d’une vulnérabilité méconnue par son avatar Sonny Crockett, il fut en effet, durant le tournage même, victime d’une grave surdose. Un comble pour un acteur jouant le rôle d’un flic infiltré dans une organisation de trafiquants de drogue…