20 octobre 2008
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(Texte initialement publié dans le n° 71 de Bref, le magazine du court métrage)
Avec ses clips pour Aphex Twin, l’Anglais Chris Cunningham avait réussi à faire voler en éclats la frontière entre vidéo musicale et film court. Si Windowlicker était encore un clip, sa durée, ses parties dialoguées et dénuées de musique, son générique, l’apparentaient en effet à un court métrage. Rubber Johnny, au contraire, se présente d’emblée comme une œuvre d’art de six minutes, un film expérimental qui fut d’abord commercialisé en dvd avant de circuler en festivals. Pas un clip donc, pas une commande, même si la musique d’Aphex Twin, nourrissant une foisonnante bande-son, se trouve encore au cœur de ce film produit par le label Warp.
Les précédents cauchemars de Cunningham étaient paradoxalement plus narratifs que ce film frisant l’abstraction. Un repère familier, toutefois : son héros, enfant-mutant difforme cloué dans un fauteuil roulant, rappelle tant le bébé d’Eraserhead que le John Merrick d’Elephant Man. Nous le découvrons d’abord en gros plan, enfermé dans une cave, privé de paroles (seul un atroce gargouillis s’échappe de sa gorge), visiblement maltraité par des parents que nous n’entendrons qu’en off. Un petit chien inquiétant est là aussi, témoin des transports hallucinés de l’enfant quand, soudain, résonne à ses oreilles la musique d’Aphex Twin…
Aux aberrations physiques et aux représentations monstrueuses qu’il bidouillait jusqu’alors (le visage grimaçant de Richard D. James greffé sur des corps de petites filles dans Come to Daddy ou sur ceux de bimbos dénudées dans Windowlicker), Cunningham préfère ici une approche strictement plastique, où le fil ténu du récit s’emmêle sous les assauts d’un montage stroboscopique dont le spectateur ne peut d’emblée saisir toutes les nuances. Plus encore que chez Lynch, l’hérédité bâtarde de ce Rubber Johnny serait à rechercher du côté du Patrick Bokanowski de La femme qui se poudre. Car si la laideur était jusqu’alors circonscrite, chez Cunningham, à des manipulations de savant fou, elle est ici générée par la matière même de l’image.
Traumatiser le spectateur, via le déferlement de visions infernales, semble demeurer son étrange priorité. Mais ce qui nous perturbe le plus ici, est-ce la difformité de Johnny ou celle d’images que le cinéaste distord, viole et altère jusqu’à ce qu’elles accouchent de textures et de formes monstrueuses ? En gommant le garde-fou narratif de son projet esthétique, le réalisateur troque ici l’horreur contre le malaise, l’immédiateté du dégoût contre l’angoisse viscérale, la couleur contre le noir et blanc, l’image "réaliste" contre l’extrême stylisation. Si le film y perd en lisibilité, son impact n’en est que décuplé.
à voir aussi :
Come to Daddy (ici)
Windowlicker (là)
Avec ses clips pour Aphex Twin, l’Anglais Chris Cunningham avait réussi à faire voler en éclats la frontière entre vidéo musicale et film court. Si Windowlicker était encore un clip, sa durée, ses parties dialoguées et dénuées de musique, son générique, l’apparentaient en effet à un court métrage. Rubber Johnny, au contraire, se présente d’emblée comme une œuvre d’art de six minutes, un film expérimental qui fut d’abord commercialisé en dvd avant de circuler en festivals. Pas un clip donc, pas une commande, même si la musique d’Aphex Twin, nourrissant une foisonnante bande-son, se trouve encore au cœur de ce film produit par le label Warp.
Les précédents cauchemars de Cunningham étaient paradoxalement plus narratifs que ce film frisant l’abstraction. Un repère familier, toutefois : son héros, enfant-mutant difforme cloué dans un fauteuil roulant, rappelle tant le bébé d’Eraserhead que le John Merrick d’Elephant Man. Nous le découvrons d’abord en gros plan, enfermé dans une cave, privé de paroles (seul un atroce gargouillis s’échappe de sa gorge), visiblement maltraité par des parents que nous n’entendrons qu’en off. Un petit chien inquiétant est là aussi, témoin des transports hallucinés de l’enfant quand, soudain, résonne à ses oreilles la musique d’Aphex Twin…
Aux aberrations physiques et aux représentations monstrueuses qu’il bidouillait jusqu’alors (le visage grimaçant de Richard D. James greffé sur des corps de petites filles dans Come to Daddy ou sur ceux de bimbos dénudées dans Windowlicker), Cunningham préfère ici une approche strictement plastique, où le fil ténu du récit s’emmêle sous les assauts d’un montage stroboscopique dont le spectateur ne peut d’emblée saisir toutes les nuances. Plus encore que chez Lynch, l’hérédité bâtarde de ce Rubber Johnny serait à rechercher du côté du Patrick Bokanowski de La femme qui se poudre. Car si la laideur était jusqu’alors circonscrite, chez Cunningham, à des manipulations de savant fou, elle est ici générée par la matière même de l’image.
Traumatiser le spectateur, via le déferlement de visions infernales, semble demeurer son étrange priorité. Mais ce qui nous perturbe le plus ici, est-ce la difformité de Johnny ou celle d’images que le cinéaste distord, viole et altère jusqu’à ce qu’elles accouchent de textures et de formes monstrueuses ? En gommant le garde-fou narratif de son projet esthétique, le réalisateur troque ici l’horreur contre le malaise, l’immédiateté du dégoût contre l’angoisse viscérale, la couleur contre le noir et blanc, l’image "réaliste" contre l’extrême stylisation. Si le film y perd en lisibilité, son impact n’en est que décuplé.
à voir aussi :
Come to Daddy (ici)
Windowlicker (là)