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8 décembre 2007 6 08 /12 /décembre /2007 10:44
undefinedCe qu’il y a de plus intéressant dans I’m Not There, ce n’est pas forcément le gimmick abondamment commenté consistant à faire interpréter Bob Dylan par six acteurs différents (dont une actrice et un enfant), c’est surtout comment le film se pose en œuvre de faussaire, entretenant par là un rapport très étroit avec leprécédent long métrage de Todd Haynes.
Dans Loin du Paradis, le cinéaste refaisait, presque à l’identique (thématiquement, esthétiquement), un mélodrame fifties de Douglas Sirk. Tentative un peu vaine dans le fond, mais entreprise plastique assez passionnante. Dans son film autour de Bob Dylan, Haynes creuse – trop rarement – ce sillon, qui rappelle également la tentative troublante de Gus Van Sant retournant, quasiment au plan près, le Psychose de Hitchcock en 1998.
Dans quelques séquences de I’m Not There, c’est donc Dont Look Back, le documentaire de D.A. Pennebaker, que Todd Haynes revisite avec Cate Blanchett dans le rôle d’une rock-star ici rebaptisée Jude Quinn. C’est d’ailleurs avec l’actrice que le film se rapproche le plus du récit biographique classique. Tout simplement parce que cette facette qu’elle incarne correspond au moment où Dylan a été le plus (et le mieux) filmé. C’est l’époque où le chanteur troque son acoustique contre une guitare électrique, ce moment charnière qui est au cœur d’un récent livre de Greil Marcus et d’un passionnant documentaire de Martin Scorsese. C’est avec cette incarnation-là, avec Blanchett, que I’m Not There redevient le plus raccord avec les images déjà connues du chanteur, l’actrice jouant à fond la carte du mimétisme et de l’imitation. Outre ces séquences en noir et blanc, plus ou moins empruntées à Pennebaker, les interviews d’une Joan Baez extrapolée (Julianne Moore) paraissent, elles, prélevées à un triste et fade bonus dvd (signe parmi d’autres des différents régimes d’image convoqués par le cinéaste), et plus précisément aux entretiens que la chanteuse donna à Scorsese pour No Direction Home.
Refaire. Refilmer. Dupliquer. Réinterpréter. Copier les photos de l’artiste, les documents d’archives vus et revus, les pochettes de disques, mais remplacer Dylan par Christian Bale (avatar lui-même dédoublé dans le film : à la fois Bob folk et Dylan "Born Again Christian").
Trop tardive, la photo floue de Jerry Schatzberg pour Blonde on Blonde est épargnée. Mais la bande-son, elle, n’est pas en reste. S’y mêlent, au gré des scènes, des versions originales et des reprises ici choisies pour leur capacité à se faire passer pour du Dylan (ce qui n’est pas le cas – loin de là – de l’ensemble des covers présentes sur le disque inspiré par le film). Pour le meilleur et pour le pire, I’m Not There peut ainsi être regardé comme on écouterait un album de reprises. C’est parfois magnifique, quelquefois stimulant, mais souvent inutile.


De film en film, cette application à imiter des formes antérieures, les films des autres, suggère de plus en plus nettement que Todd Haynes regrette peut-être de n’avoir pas été contemporain de Sirk ou des sixties. Il y a quelque chose d’émouvant dans cet
aveu d’impuissance du cinéaste. Aveu se manifestant aussi, dans ce film, par son incapacité à transformer le matériau fétichisé, à le tordre et le sublimer en une vraie re-création.
Haynes n’est pas un maniériste : sur l’échelle hitchcockienne évoquée plus tôt, il restera toujours plus proche de Gus Van Sant que de Brian de Palma. Mais contrairement à Gus Van Sant dans Last Days, Todd Haynes paraît empesé, trop collé à son sujet, illustrateur virtuose prisonnier d’une légende dont il ne peut finalement se déprendre. Tout l’inverse de Velvet Goldmine, son film sur le glam-rock, qui se présentait déjà comme une enquête autour d’un musicien de fiction. Ce film, mêlant harmonieusement présent et passé, suivait un journaliste (Christian Bale, déjà) rencontrant les différents acteurs de la vie de Brian Slade pour élucider le mystère de sa disparition. Ayant recours aux témoignages de tiers, grattant le vernis de la légende, confrontant le regard du fan à celui du journaliste qu’il est devenu, le film était construit sur le modèle polyphonique du faux film biographique le plus emblématique de tous : Citizen Kane. C’était déjà une enquête sur une rock-star, mais c’était un double de fiction qui la menait, pas le cinéaste lui-même…

Si structurellement I’m Not There s’éloigne franchement du biopic classique (et c’est heureux), on déplore que, dans le détail, le cinéaste se soit laissé aller à quelques séquences qui auraient tout autant trouvé leur place dans une bio filmée par le premier tâcheron hollywoodien venu. Clichés attendus, donc, que cette scène obligée au festival folk de Newport montrant le pauvre Pete Seeger tenter de couper à la hache les câbles électriques tandis que Dylan joue pour la première fois en formation électrique. Prévisible, la scène du fameux concert londonien et des invectives lancées à Dylan par la foule ("Judas !"). Mais de cette scène précise, Todd Haynes ne fait pas grand chose, contrairement à Scorsese qui traitait ce concert comme le point de bascule fatal que rencontre à un moment donné le personnage principal de chacun de ses films. Dans I’m Not There, le concert londonien n’est qu’un événement anodin noyé dans un maelström formel certes séduisant mais bientôt fatiguant.
Ce côté "jeu de piste" flattant le spécialiste s’avère aussi être la véritable limite d’un film durant deux heure et quart et ne semblant jamais finir tant il manque d’une ligne narrative un tant soit peu lisible. En fait, on verrait mieux I’m Not There comme une installation dans une expo Dylan. Un film tournant en boucle sur lui-même, que l’on peut quitter, entamer, retrouver quand on le veut.
Certes, c’est amusant de reconnaître telle ou telle chanson dans une ligne de dialogue, tel ou tel personnage réel dans les nombreux doubles que le film met en scène. Mais tout cela reste de l’ordre de l’anecdote, voire de la "private joke". On aurait tant aimé que Haynes choisisse un angle précis un peu plus de cinq minutes, qu’il développe sur la longueur quelques formidables intuitions (Richard Gere et le passage western dans lequel résonne l’écho de Pat Garrett et Billy le Kid de Peckinpah, mais aussi – via la présence de cet acteur – des Moissons du ciel, le chef-d’œuvre de Terrence Malick).
Malheureusement, on a par moments l’impression que Todd Haynes ne sait plus quoi faire de ses audaces. Comme s’il avait voulu, parfois, calmer le jeu. Il est faux d’affirmer, comme je l’ai beaucoup lu ces jours-ci, que Dylan n’est jamais nommé dans le film. Il suffit déjà de rappeler qu’il est omniprésent sur la bande-son (à ce niveau, I’m Not There, c’est clairement l’anti-Last Days). Dès le générique, aussi, un carton nous explique que le film est "inspiré des différentes vies de Bob Dylan". Surtout, "détail qui tue", l’édifice échafaudé par le cinéaste s’effondre dans un dernier plan montrant enfin Bob Dylan – le vrai – de profil, à l’harmonica. Cette dernière image, faute de goût impardonnable, ressemble à une bien triste concession.

Velvet Goldmine, variation très libre autour du glam-rock et de figures vaguement inspirées par David Bowie et Iggy Pop, était plus convaincant, moins prisonnier d’un système. Les artistes – réels – n’y étaient jamais nommés (encore moins montrés), et les chansons ne suffisaient pas à les identifier puisque le personnage inspiré – en partie – par Bowie y chantait notamment des morceaux de Roxy Music, et d’autres beaucoup plus obscurs. Le brouillage était total – chaque personnage agglomérant plusieurs histoires, plusieurs chanteurs – mais, même pour qui n’y connaissait rien à la scène glam du début des années 70, le film pouvait se suivre comme une simple fiction. Il n’était d’ailleurs, au fond, que cela.
À l’inverse, on se demande un peu ce que le néophyte en Dylanie trouvera comme intérêt à I’m Not There. Derrière tous les masques empilés par le cinéaste, aucun Dylan. Juste le vide abyssal dans lequel ne cesse de résonner sa voix éternelle…

07haynes-dylans.JPG

 
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commentaires

S
Merci D&D. En effet, le film, bien que raté, est passionnant dans ses propositions. Et, finalement, tant mieux s'il peut aussi intéresser qui connaît peu Dylan.
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D
"ce que le néophyte en Dylanie trouvera comme intérêt à I’m Not There" : me voilà un exemple possible du fait que ce n'est pas un problème. Sincèrement, Dylan, je ne connais rien, et ça ne m'a pas gêné une seconde. Je crois que les "faux problèmes" (cinématograhiquement parlant) sont plutôt à attendre du côté des "proches" de Dylan, justement. Et je ne dis pas du tout ça pour vous. Très beau billet, je beau trouve. Un peu court par moment dans ses "attaques" ou ses "résolutions" à mon goût, mais il faut que je le relise, je suis lent... Même si je trouve plutôt ce film raté, mais infiniment aimable, et passionnant. Bon, à bientôt.
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T
Je vois ce que tu veux dire, Ska...Et je vais laisser Jean Cocteau te répondre (oui, je suis fatigué ce soir :)) : "Plus vous me projetterez dans la lumière, plus je disparaîtrai".Dylan est à mon avis l'illustration parfaite de cela.
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S
Je suis d'accord avec toi, Ama-L. C'est aussi pour cela que j'aime beaucoup le livre de Bon. Et c'est aussi cette dimension intime qui en fait autre chose qu'une simple biographie.
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A
Pas encore vu, le week-end ne comptait pas assez d'heures (surtout quand on les claque au microsillonscope).Juste à propos de la bio des Stones par François Bon, bien sûr que le travail factuel est énorme; simplement, Bon n'oublie jamais de signaler, en marge de son récit de la trajectoire des Stones (récit qui fait déjà une part au ressenti, au questionnement, à la fugacité des vérités), ce en quoi ils ont marqué sa vie à lui et celle de sa génération. J'ai trouvé le livre passionnant, et magnifiquement écrit, mais cet aspect-là, la geste stonienne vue à hauteur d'ado, le choc ressenti de découvrir cette musique, est particulièrement touchant.
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