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11 octobre 2007 4 11 /10 /octobre /2007 01:05
9782226179364.jpg"Pour me comprendre, il faut aimer les puzzles" (Bob Dylan)

 

Dire de I’m not There, le nouveau film de Todd Haynes, que je l’attend impatiemment est un euphémisme. Parce que Todd Haynes est un cinéaste passionnant. Parce qu’il aime Douglas Sirk autant que le glam rock. Parce que, surtout, je viens de lire la biographie de Bob Dylan écrite par François Bon et que le film de Todd Haynes pourrait en constituer la fort pertinente coda.
Après le livre de Greil Marcus intégralement consacré à la chanson Like a Rolling Stone, après No Direction Home, le foisonnant documentaire de Scorsese sur Dylan, après la somptueuse réédition du Dont Look Back de Pennebaker en dvd, le livre de Bon vient clore (provisoirement) deux années ponctuées de parutions remarquables pour qui s’intéresse à Robert Zimmerman.
La deuxième incursion de François Bon en terres de rock’n’roll est peut-être plus convaincante encore que la somme qu’il publia sur les Rolling Stones il y a cinq ans. Bob Dylan est en effet un personnage de roman idéal, un être autour duquel le réel est fluctuant, indéfini. Si Rolling Stones, une biographie se nourrissait de faits avérés et d’une mythologie assez classique, la figure de Dylan intrigue et stimule beaucoup plus. Le livre de Bon est ainsi, en partie, une sorte d’enquête au cœur des innombrables écrits et témoignages que l’on a déjà pu lire ou entendre sur Dylan. Entreprise critique, donc, plutôt que bio officielle. Et c’est heureux.
D’habitude, je n’aime pas lire des biographies. Il y manque le frottement de la fiction, il y a là-dedans un côté scolaire et scrupuleux qui, souvent, étouffe la littérature. Avec Bon, c’est différent, car lorsqu’il évoque les Stones, Dylan ou Led Zeppelin (ce qu’il fit dans un feuilleton radiophonique de haute volée), il parle en creux tout autant de lui, de ce que cette musique, surtout, représenta pour les jeunes de sa génération en France ("C’est soi-même qu’on recherche").
Ce qui se dégage de la lecture, c’est surtout, donc, que Dylan est insaisissable, que les livres ne réussiront jamais à donner de lui une image univoque. Car Dylan est d’abord un mythe, une figure en laquelle s’agrège toute une histoire de l’Amérique et de la contre-culture. Un homme aussi qui ne se reconnut pas forcément dans le rôle que l’on voulut, un temps, lui faire jouer.

Je ne l’ai pas encore vu, mais le film de Todd Haynes semble bien partir lui aussi de ce postulat, de cette impossibilité de raconter Dylan en se contentant de suivre le simple fil biographique. D’où le recours – logique – à plusieurs comédiens pour interpréter autant de Dylan, ou plus précisément d’avatars dylaniens. La phrase d’accroche de la bande-annonce le déclare sans ambages : les biographies de Dylan, ses Chroniques même, sont truffées de mensonges, d’exagérations de toutes sortes. Tandis que défilent les premières images, on pense à cette phrase célèbre prononcée par James Stewart dans L’Homme qui tua Liberty Valance ("Si la légende est plus belle que la vérité, alors imprimons la légende").
Finalement, c’est d’abord Dylan qui a écrit son propre rôle, se construisant au fil du temps en personnage fictif (la généalogie qu’il s’invente à ses débuts, l’épisode de l’accident de moto de juillet 66 très largement exagéré…), jusqu’à être dépassé par celui-ci et par ce que les auditeurs investissaient en sa personne.
Dans Bob Dylan, une biographie, il y a ainsi ce passage où Bon s’attarde sur l’arrivée du jeune Dylan à New York, seul sous la neige, guitare sur le dos (« Telle est la légende : New York, le 24 janvier 1961, ses vingt ans dans quatre mois. Du vent sur la ville, de la neige. Une voiture s’arrête venue de Madison, et deux jeunes types en descendent, remercient le chauffeur. L’un a une guitare à la main. »). L’image est belle, si belle. Elle contribue, entre autres climax du livre, à l’édification de Dylan en archétype. Pourtant, la légende, Bon la tient à distance. Il la commente, la critique, la pousse dans ses retranchements. Et ce sont ces contradictions flagrantes qui finalement rendent encore plus passionnant le personnage de Dylan.
Il y eut plus tard Bowie et ses masques, tous les personnages qu’il joua au fil de ses albums. Le premier avatar, Ziggy Stardust, il le tua, signe qu’il contrôlait tout, et notamment le passage d’un personnage à un autre. Avec Dylan, rien de tout cela. Quand Bowie est pure fiction, Dylan est vacillement. Dépassé toujours par les incarnations qu’il s’invente… Sait-il lui-même qui il est ? "All I can do is be me. Whoever that is", dira un jour celui qui acteur dans Pat Garrett et Billy le kid, le chef-d'oeuvre crépusculaire de Sam Peckinpah, s'y faisait de manière très significative appeler Alias...
Qu'importe, au fond ? N’est-ce pas ainsi que l’on préfère rêver Dylan ?



Dossier Dylan à lire sur le blog de François Bon, ici
Ci-dessous, la bande annonce de I'm not There (sortie en France le 5 décembre 2007)



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commentaires

T
Nous sommes donc d'accord :-)
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R
Bah les personnes que j'ai rencontrées dans ma vie et ailleurs devaient parler en hurlant parce que depuis que je me suis mis à la musique, j'ai les oreilles qui sifflent...
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S
Ben ouais, mec, certaines chansons sont indéfectiblement liées à une personne, à une rencontre, à un moment précis de nos vies. La musique, oui, c'est aussi ça...
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S
On va rester un peu amis avant de dire que je préfère Aufray à Dylan!Mais moi qui est un best-of de Dylan je préfère des reprises de Dylan que les chansons de Dylan chantées par l'auteur.Mais Dylan reste pour un souvenir personnel : mon premier séjour en Irlande, il y a 10 ans presque jour pour jour aujourd'hui, dans un salon d'une auberge de jeunesse à 6h00 du matin, philosophant avec une Australienne sur la beautée irlandaise (et un peu sur la sienne à la jeune fille) avec comme musique de fond un best-of de DylanJ'ai un peu mieux saisi "Knockin' On Heaven's Door".Pas intéressant pour les gens mais pour moi...que de souvenirsC'est ca la musique?
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S
C'est vrai que sa voix en arrête beaucoup. Pas seulement sa voix, sa manière de chanter. Mais François Bon n'a de cesse de préciser que, contrairement aux idées reçues, Dylan dispose d'une technique vocale très précise. Et il écrit une chose très juste sur la diction "dylanesque" : à propos de la chanson, "laisser voir ce qu'elle a de spécifique dans le rythme parce qu'à tel moment la guitare ne sera que rythmique, affirmer la singularité de la mélodie en la décalant des accords. Et par-dessus tout, cette rage. Abandonner la voix bien posée de l'étudiant de vingt ans, pianiste et musicologue, et érailler tout cela. En écrasant la voix, en se refusant le plaisir de la voix, le rythme, la mélodie, le texte repassent en avant (...) la déconstruction Dylan, c'est dès ce moment qu'il l'amorce" (p. 120)Le disque de Bryan Ferry, je ne l'ai pas écouté (je n'en avais pas lu de très bonnes critiques quand il est sorti). Il faudra que je te l'emprunte... Par ailleurs, il est fréquent de découvrir un artiste par le biais des interprétations d'un autre... Dans le meilleur des cas, ça peut donner envie d'écouter l'original... Avec Dylan, c'est une chose récurrente : ça avait commencé avec les Byrds qui, dès les années 60, ont enregistrés des poignées de titres de Dylan (et ce sont eux qui, avant lui, ont commencé à utiliser la guitare électrique sur un de ces titres, le fameux Mister Tambourine Man). En France, nous, pour les adaptations de Dylan, on a eu Hugues Aufray... Tu préfères aussi l'auteur de Santiano au grand Bob ?
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