Distribué en salles en février dernier, Le sens de l’humour, premier long métrage remarquable de Marilyne Canto, sort aujourd'hui, 1er juillet, en DVD et on espère vivement que cette seconde naissance permettra au film de gagner de nouveaux spectateurs.
Cette chronique réaliste et sensible est en effet l’une des plus touchantes qu’il nous ait été donné de voir ces dernières années, rejoignant, dans sa belle justesse des sentiments, une réussite aussi éclatante que Memory Lane de Mikhaël Hers il y a quelques années. On pense aussi pas mal, face au Sens de l’humour, au dernier film de Philippe Garrel, La jalousie, pour une trame assez proche et une configuration des rôles similaire (un homme et une femme tentant de reconstruire une cellule familiale, l’enfant de l’un-e avec eux). Mais ce qui distingue fondamentalement le film de Marilyne Canto de La jalousie, c’est le sentiment qu’il ne fait qu’un avec la vie, quand l’autre – aussi réussi fût-il – privilégiait construction chapitrée de la fiction et stylisation du trait (le noir et blanc, le théâtre dans le cinéma). De fait, ce sentiment, à la vision du Sens de l’humour, découle de la forte proximité entre l’histoire racontée, ceux qui la jouent (Marilyne Canto, Antoine Chappey et son propre frère) et la réalité d’un deuil affectif qui préexista à la possibilité d’un nouvel amour.
Concrètement, Le sens de l’humour reprend peu ou prou les choses là où la réalisatrice les avaient laissées avec son court métrage Fais de beaux rêves, Grand prix au Festival de Clermont-Ferrand en 2006 et César du meilleur court métrage en 2007. Ce film, proposé en bonus du DVD, a parfois été présenté par la réalisatrice comme un « premier chapitre ». C’est on ne peut plus vrai et si les deux films s’appuient sur un même événement (la mort de l’être aimé), ils font toute autre chose de cette absence. Pour schématiser, Fais de beaux rêves est effectivement un film de deuil, un film qui vient juste « après » et Le sens de l’humour un film de reconstruction, un film ouvert et lumineux. Ainsi, du temps sépare les deux films, l’enfant de l’héroïne n’y a pas le même âge, les possibles n’y sont pas les mêmes. Dans les deux films, Antoine Chappey vient redoubler dans la fiction la place qu’il tient, imagine-t-on, dans la vie de la réalisatrice et on n’écrira jamais assez à quel point il est – trop discrètement – l’un des meilleurs acteurs français depuis vingt ans (qui se souvient du Rocher d’Acapulco de Laurent Tuel, de La nage indienne de Xavier Durringer ou des Jours où je n’existe pas de Jean-Charles Fitoussi ?). On n’écrira jamais assez, aussi, comme tous deux, ensemble, elle et lui, diffusent une énergie sidérante, un charme irrésistible qui rend bouleversant le moindre de leurs échanges (le film étant principalement construit autour des ambivalences du sentiment amoureux, de sautes d’affection, de bouderies butées ou de douces vacheries). Cette alchimie irradiait déjà Le prochain film de René Féret il y a deux ans, et même s’il ne faudrait pas toujours les voir en couple-miroir – à la ville, à l’écran – force est de constater l’évidence quand elle emplit aussi joliment l’écran.
On finira en précisant que Marilyne Canto s’impose ici en réalisatrice aux choix forts, précis et affirmés, ainsi qu’en témoignent les commentaires audio posés sur son court métrage, Fais de beaux rêves. Sur l’usage du noir et blanc, du contraste, sur le sens du costume, sur les ponctions de réel dans la mise en scène de la fiction et sur le choix de refuser l’émotion dans le jeu, ce sont vingt minutes lumineuses d’intelligence et d’intuition, qui tiennent aussi à distance la question – délicate – qui demeure aujourd’hui en suspens : qu’en sera-t-il, après l’autobiographie plus ou moins déguisée, de l’œuvre de cinéaste de l’actrice Marilyne Canto ? Après deux premiers chapitres aussi réussis, nous, on ne demande qu’à voir…
Stéphane Kahn
Texte initialement publié sur le site de Bref, le magazine du court métrage :